La cuisinière des Kennedy (2024) – Valérie Paturaud

Les saveurs du valet

C’est avec une grande émotion que j’ai refermé, la larme à l’œil, ce beau livre qui m’a été offert par ma chère amie Cécile. C’était pour elle son « coup de coeur » de l’année et elle tenait à me le faire partager à l’occasion de mon anniversaire. Bien lui en a pris ! Je ne l’aurais jamais lu autrement, étant en théorie peu friande de ce type de récit, au carrefour du témoignage biographique et du document historique.

En théorie seulement car ce texte m’a cueillie et passionnée de bout en bout.

Valérie Paturaud, institutrice de profession passée aux belles lettres, nous conte la destinée peu commune d’Andrée Leufroy dont le parcours tient d’une sorte de conte de fées des temps modernes. Enfant « trouvée » en pleine rue en 1907 par un hiver glacial (d’où le nom qui lui sera attribué), elle est confiée à l’assistance publique et devient « pupille de la nation ». Elle passe plusieurs années dans une famille qu’elle aimera (et qui l’aimera) tendrement puis la première guerre viendra faire exploser ce foyer recomposé pour l’envoyer ailleurs. J’ai commencé par noter avec quel sérieux et quelle considération ces « adoptions » étaient réalisées : l’assistance publique et l’accueil avaient alors un sens véritable et les familles prenaient leur rôle très à coeur, tout en étant strictement contrôlées. Un démarrage dans la vie qui ne fut pas des plus simples pour la petite Andrée, qui néanmoins s’adapte de bonne grâce à ce tourbillon, avec un courage qui force déjà le respect.

Très vite, elle assiste, avec ses « mamans » successives, à la préparation des repas et met la main à la pâte : ce goût des fourneaux ne la quittera jamais et décidera de son avenir. Sa vie s’inscrit dans une période historique agitée à l’extrême et Valérie Paturaud dépeint fort bien ce tumulte, sans trop s’attarder, traçant les grandes lignes des événements nationaux et internationaux qui furent autant de tournants pour le monde.

Andrée est un personnage auquel le lecteur va immédiatement s’attacher car c’est une travailleuse acharnée doublée d’une belle âme, une femme qui s’accroche coûte que coûte et croit en sa bonne étoile. Nous suivons son itinéraire provençal (qui marquera pour toujours sa cuisine) depuis Marseille jusqu’au Vaucluse où, jeune femme, elle se met en ménage avec Léopold qui lui donnera une petite Madeleine. Elle s’installe avec lui dans le café du village qu’elle ne tarde pas à transformer en restaurant à la réputation sans faille. C’est qu’Andrée est une femme ambitieuse qui, de défi en défi, trace sa route, réussit tout ce qu’elle entreprend sans jamais faiblir ni perdre confiance. En cela, ce texte est une vraie leçon de vie et un hymne à la résilience, au sens de l’effort, au goût du travail bien fait.

Peu de temps avant le déclenchement de la Seconde guerre mondiale, elle se sent trop à l’étroit dans ce village, qui n’est pas à la mesure de sa soif de réussir. Nous la retrouvons à Lyon, sa fille sous le bras, œuvrant dans le restaurant d’une amie puis au service de la puissante famille Berliet (j’ai souri à l’évocation de ce nom, me souvenant les camions de cette marque que mon routier de père conduisait). A chaque contrat, elle s’investit corps et âme et se « donne » à ses employeurs qui le lui rendent bien. Hélas, le conflit mondial met un terme à l’aventure lyonnaise. A chaque fois, Valérie Paturaud parvient à insérer avec brio la « petite » histoire d’Andrée dans la grande histoire du monde.

On rencontre parfois de bonnes personnes sur son chemin.

De collaborations fructueuses en étroit tissage de liens, Andrée file et écrit son histoire, au gré des recommandations de son employeur précédent. Elle devient un temps la cuisinière d’Albert Camus, alors en quête de quiétude dans la maison d’un ami à Cabris (peut-être mon passage préféré). Et là voilà ensuite, à la faveur d’une petite annonce, cuisinière chez les Rodgers sur la Côte d’Azur, de riches Américains qui vivent grand train et la traitent bien. C’est que, dans chacune de ses positions, Andrée brille, sa cuisine épate, son caractère franc et enjoué séduit et fait l’unanimité. Et bientôt, comme l’annonce le titre, de fil en aiguille, Andrée va rencontrer la mythique dynastie Kennedy, en devenant l’une des cuisinières de Rose Kennedy (la matriarche de la famille) et de son mari. Quelle vie !

JFK n’est alors encore qu’un sénateur mais Valérie Paturaud nous raconte avec sincérité et générosité l’atmosphère qui règne alors dans cette vaste tribu si influente : de mansions surpeuplées en parties endiablées de touch football, les vastes tablées, les enfants partout, l’entente quasi parfaite entre tous les membres, la complicité qui règne entre eux, les valeurs qui les portent, la communion de toute une dynastie. Andrée est embarquée aux Etats-Unis, où elle restera plus de 20 ans et croisera même le Général de Gaulle. J’ai aimé que l’auteur intercale sa voix entre deux récits de l’époque, on entend Andrée qui raconte en italique à son « Ninou » (son petit-fils), avec le recul, ces folles années Outre-Atlantique, elle la pupille de la nation, au service d’une des familles les plus puissantes du monde.

Rien n’aurait pu préparer la modeste provinciale que j’étais à ce qu’elle découvre derrière les vitres de la limousine.

Sa collaboration avec les Kennedy dépassera largement le cadre professionnel : Andrée est intégrée à la vie de la famille et va vivre tous les événements à venir (et les tragédies) à leurs côtés, avec une grande compassion pour tous les drames qui vont les percuter. On sent une femme douée d’une grande empathie, sans doute l’une des raisons, en plus de ses incroyables talents de cuisinière, pour lesquelles elle fut tant aimée de tous.

Passer du village provençal aux grandes métropoles américaines est un choc pour Andrée qui, de plus, vit un déchirement intime : elle a laissé derrière elle sa fille unique, restée avec son père dans le Vaucluse. Le lecteur suit régulièrement leurs échanges épistolaires et les regrets de la mère qui ne peut pas toujours assister aux événements importants (mariage, naissance…). On ne peut qu’admirer la formidable capacité d’adaptation et de rebond d’Andrée qui cherche toujours à tirer le meilleur de son expérience et des présents du présent. Un roman foisonnant, un journal de bord écrit dans une période d’une richesse en événements incomparable, que nous suivons en temps réel et qui passionne (en plus de nous mettre l’eau à la bouche) et nous fait entrer dans les coulisses, que dis-je ! les cuisines des Kennedy.

Un texte qui invite également à la réflexion sur le pouvoir, les tragédies, l’argent, avec une question tutélaire : quelle est la vraie richesse ? Celle de pouvoir tout s’offrir ou de pouvoir serrer ses enfants dans ses bras jusqu’à son dernier souffle ? De Rose Kennedy ou d’Andrée, qui fut la plus heureuse ? A l’évocation du nom de Kennedy, ce sont surtout les drames terribles que cette famille a essuyés que nous avons retenus.

Petit bonus (et non des moindres!) de ce témoignage tendre et passionnant, qui atteste d’une grande loyauté à la mémoire et au souvenir : les photos insérées au milieu de l’ouvrage, où l’on découvre le visage rieur d’Andrée aux côtés des Kennedy, qui lui resteront fidèles jusqu’à la fin, mais aussi les délicieuses recettes de cuisine qui ferment l’ouvrage et qui donnent envie d’enfiler son tablier sur-le-champ.

Une histoire fort bien construite et racontée, qui est une invitation au voyage, à la découverte, à la bonne chère, une célébration des rencontres (la vie n’en est-elle pas faite, comme disait Éluard ?) qui font bifurquer l’existence, un chant d’amour à la France ET aux Etats-Unis (d’alors…)  autant qu’un manuel philosophique de courage, d’excellence et de bienveillance : voilà pour cette « cuisinière des Kennedy » absolument inoubliable !

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

Rester en contact

Restez informé·e !
Chaque semaine, retrouvez mes coups de cœur du moment, trouvailles, rencontres et hasards littéraires qui offrent un supplément d'âme au quotidien !