Clamser à Tataouine (2024) – Raphaël Quenard

Tueur gai

Alors voilà un livre sur lequel je n’aurais pas parié mais qui m’a soufflée.

Je pensais que nous avions là un petit cadeau offert par l’édition à l’omniprésent Raphaël Quenard et que sa prose ne valait pas tripette, que tout cela était survendu.

Et en fait, j’ai pris un plaisir fou à lire ce texte, à telle enseigne que je pensais le relire une seconde fois après avoir atteint la dernière page. C’est qu’elle est brève, cette odyssée tragi-comique qui nous campe un jeune homme paumé qui décide, avant de se suicider, de commettre plusieurs meurtres de femmes dans différentes classes sociales. Le livre est construit de manière originale puisque cette histoire est enchâssée dans un premier scénario : nous découvrons le protagoniste en villégiature dans une station balnéaire fictive, vivant aux crochets d’une vieille dame tel un gigolo. Sa manière de parler du dépérissement corporel du grand âge est très politiquement incorrecte mais de facto, hilarante. Le personnage commente en permanence, en aparté, les situations qu’il rencontre avec une virtuosité langagière mêlant le parler populaire à un timbre plus soutenu :  un détail qui fait de ce texte un savoureux cocktail lexical (qui en sera la signature hilarante et singulière). L’individu va ensuite confier à sa protectrice un manuscrit sur sa vie, manuscrit dans lequel il raconte son périple meurtrier à travers différentes classes sociales. Il tuera en effet une aristocrate, une SDF, une femme de footballeur… Homme de province issu d’un milieu modeste, il n’aura pas réussi à trouver sa place dans la société et son épopée vengeresse sonne comme une revanche sur une vie qui n’aura jamais voulu de lui.

On notera avec gourmandise le méta-texte du personnage qui, après ses exactions, salue ses performances d’acteur « méritant un Oscar » tant il se trouve crédible dans l’élaboration de ses crimes parfaits. L’individu coche toutes les cases du type perdu : consommateur de drogues, de sexe tarifé, auteur de vols à la tire depuis son adolescence.. Son existence ne semble qu’une longue descente dans les marges. Pourtant, il fait preuve, tout au long du texte, de bouffées réflexives existentielles, politiques et sociologiques de la meilleure facture, s’interrogeant sur le bien et le mal, le destin, les relations aux autres, les décisions que l’on prend ou non. J’ai plusieurs fois éclaté de rire, notamment lors des diatribes hystériques de son amie SDF (très pertinentes d’ailleurs) mais aussi quand il décrit le vide de ses journées à fumer du cannabis et « se goinfrer comme un phacochère ».

Ce roman est un rafraîchissant régal amoral, un conte noir macabre et drôlissime, dont le style est à la croisée d’un Audiard, Blier et de l’oralité banlieusarde d’aujourd’hui, plein de verve et de vie.

La fin vient nous cueillir avec un twist qui replace la morale d’équerre : vraiment adoré ce roman !

 

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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