Et que le vaste monde poursuive sa course folle
Mais nous savons ceci : pour qu’un monde nouveau surgisse, il faut d’abord que meure un monde ancien. Et nous savons l’intervalle qui les sépare peut être infiniment court ou au contraire si long que les hommes doivent apprendre pendant des dizaines d’années à vivre dans la désolation pour découvrir immanquablement qu’ils en sont incapables et qu’au bout du compte, ils n’ont pas vécu.
Deux amis, Matthieu et Libero, l’un par idéal, l’autre par amertume, abandonnent leurs études de philosophie à la Sorbonne pour prendre la gérance d’un bar dans un petit village de Corse.
Le succès est au départ au rendez-vous, le bar redonne vie au village, mais peu à peu les choses se délitent et pourrissent. L’écriture de Jérôme Ferrari restitue formidablement une Corse funeste et désertée. Le lecteur fait la connaissance du grand-père de Matthieu qui, à l’inverse de son petit-fils, a toujours désiré fuir l’île. Il a traversé le siècle, assisté à la colonisation puis a connu la maladie comme un assaillant silencieux. Sa vie s’achève dans un mutisme tragique, devant une vieille photo de famille.
Une grande mélancolie sourd de ces pages.
Le roman fait aussi apparaître Aurélie, la sœur de Matthieu, partie elle fouiller le site d’Hippone (lieu du sermon de Saint Augustin (titre du roman) durant lequel il tenta de consoler ses fidèles de la fragilité des royaumes terrestres) et qui essaie de ramener son frère à la réalité.
Le sermon sur la chute de Rome, Prix Goncourt 2012, miroite comme une obsidienne, cette pierre noire et brillante ; ses phrases rutilantes s’écoulent, lentes et sereines, au long des pages et disent le destin noir des hommes qui assistent impuissants à l’accomplissement de leur propre naufrage, à la naissance et à la disparition de leurs rêves, sous l’égide lointaine de Saint Augustin et portés par l’écriture sublime de Jérôme Ferrari.
Son professeur d’éthique était un jeune normalien extraordinairement prolixe et sympathique qui traitait les textes avec une désinvolture brillante jusqu’à la nausée, assenant à ses étudiants des considérations définitives sur le mal absolu que n’aurait pas désavouées un curé de campagne, même s’il les agrémentait d’un nombre considérable de références et citations qui ne parvenaient pas à combler leur vide conceptuel ni à dissimuler leur absolue trivialité. […] Libero ne pouvait plus en douter, et il était comme un homme qui vient juste de faire fortune, après des efforts inouïs, dans une monnaie qui n’a plus cours.




