Où les étoiles tombent (2025) – Cédric Sapin-Defour

Anatomie d’une chute

Décidément, Cédric Sapin-Defour est doué pour me faire fondre en larmes. Déjà bouleversée (comme des centaines de milliers d’autres) par son texte précédent, superbement consacré à son histoire d’amour (et de mort…) avec son chien Ubac, voilà qu’il récidive sur les mêmes thèmes. Il livre cette fois une déchirante chronique, sous forme de journal de bord quotidien et compte à rebours, de l’accident de parapente gravissime qui a bien failli coûter la vie à sa femme Mathilde.

Nous entrons dans ce récit par le subtil portrait que l’auteur propose de sa femme, de leur rencontre et de leurs souvenirs ensemble. Jamais de pathos chez l’auteur, mais toujours un très délicat et juste dosage de l’émotion et de la pudeur. On comprend bien vite qu’un accident est survenu et l’écrivain réussit à laisser planer le doute quant à l’issue du drame, avec un sens du suspense fascinant. Dès les premières pages et l’évocation de l’événement, l’arrivée à l’hôpital et les sentiments qu’une telle situation fait surgir, le lecteur est pris à la gorge et s’identifie. Qu’un si grand amour soit arraché à un être humain ne peut nous laisser insensible. Suit un long développement, jour après jour, sur le devenir de Mathilde et son retour à la vie, assorti de profondes réflexions existentielles qui ne peuvent que nous foudroyer si tant est que l’on tienne à quelques êtres chers.

L’auteur embrasse avec une merveilleuse sincérité sa douleur, ses doutes, ses découragements et ses reprises d’espoir et nous embarque avec lui dans ce quotidien au dénouement incertain. Un quotidien qui fait tomber les masques et apparaître les liens qui comptent, fait émerger l’essentiel, le vital, balaie l’insignifiant qui, en général, nous mobilise aveuglément. L’accident rebat toutes les cartes de la vie en nous mettant face à nos ressources intérieures. Nous questionne sur le spirituel, l’au-delà, très bien traités par l’auteur qui se revendique non croyant.

<span;>J’ai encore une fois admiré la plume de l’écrivain, qui fourmille d’images et de formules à la fois simples et somptueuses pour ramasser son tourbillon intérieur. Un auteur qui pose un regard souvent sans indulgence sur lui-même, mais toujours plein de douceur et de compréhension pour ses semblables. En ce sens, Cédric Sapin-Defour nous propose un texte empli de sagesse, de tendresse et d’empathie qui n’est pas étranger à l’attachement que l’on ressent pour le « personnage ».

Et quelle déclaration d’amour à son épouse que cet hymne à la vie, que ce sentiment d’abandon qu’il exprime à penser à sa fin, que cette abnégation dans l’accompagnement, que cette présence infinie dans la reconstruction: on rêverait tous d’être aimé ainsi, aussi totalement, aussi « follement » pourrait-on dire. J’imagine l’émotion de Mathilde à la lecture de ce texte si sensible et si beau.

Un texte que j’ai donc parcouru en pleurant souvent et qui a aussi eu pour conséquence de me faire encore plus réagir à la moindre sirène de pompiers. Nos vies qui tiennent à un fil. Ce fil qui relie tant de vies entre elles. Si fort et si fragile à la fois. Qui, lorsqu’il menace de se rompre, fait tout s’effondrer sur son passage et remet toutes nos croyances en question. Un livre qui est aussi un hommage très émouvant aux soignants, à tous ceux qui œuvrent dans l’ombre à la sauvegarde de la vie, heure après heure, minute après minute.

L’auteur sait dire avec grâce la force d’un regard, la puissance d’un mot exprimé spontanément au bon moment, par un inconnu parfois, et le souvenir indélébile que laisse la compassion véritable qui attache souvent les humains entre eux et nous fait tenir debout.

Une merveilleuse manière de conjurer la tragédie par une salve de joie, de contrer le drame par une invincible gaieté :

 

Et dans un monde tenté de faner de désespoir, qui pollinise le refus de se rendre ? Les visages éclatants.

Superbe.

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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