Changer : méthode (2021) – Édouard Louis

La métamorphose

Ce que je ne savais pas encore, c’est que les insultes et la peur allaient me sauver de toi, du village, de la reproduction à l’identique de ta vie. Je ne savais pas encore que l’humiliation allait me contraindre à être libre.

C’est l’histoire d’une métamorphose à la Kafka et de ce que la sociologie bourdieusienne a appelé un « transfuge de classe ». Dans la droite ligne du « Retour à Reims » de son mentor et ami Didier Eribon (texte que j’avais tant aimé), Édouard Louis revient sur celui qu’il fut, sur cet *Eddy Bellegueule* élevé dans le Nord dans une famille miséreuse et qui va peu à peu quitter sa chrysalide pour réussir à devenir quelqu’un d’autre.

Ailleurs.

Autrement.

Dans un autre milieu.

Avec des gens qu’il n’aurait jamais pensé fréquenter. Pour enfin être celui qu’il avait toujours été. Ponctué de photos qui sont autant de jalons visuels dans la transformation d’Eddy en Édouard, « Changer : méthode » se veut un témoignage d’espoir à l’endroit de tous ceux qui se croient assignés au déterminisme social de leur naissance.

À l’image d’Annie Ernaux et Didier Eribon, Édouard Louis est la preuve que la culture (et en premier lieu, la lecture), appuyée par le travail et l’ambition (l’envie d’être célèbre et reconnu est à la source de son désir de changer de milieu) sont un puissant vecteur d’émancipation.
 
La question de l’homosexualité, longtemps refoulée en raison du rejet de la famille, occupe une place importante dans ces pages autobiographiques touchantes, même si parfois un peu trop intimes à mon goût. L’obsession d’Édouard Louis : ne jamais retourner dans ce village, ne jamais être ramené à ce cloaque initial qu’il hait. Il fera donc l’inverse de ce qu’on attendait de lui, de ce qui était prévu, comme un pied de nez au destin (prétendument) tout tracé. École Normale supérieure, côtoiement des intellectuels, aventures sensuelles variées… Édouard Louis essaie tout, avec l’urgence de ceux qui fuient un ennemi qui les talonne.
 
« Il faut que je me sauve », écrit-il page 219 : cette simple phrase dit absolument tout.
Admirable et très singulière trajectoire de vie.

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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