Chevrotine (2014) – Eric Fottorino

Le cri du crime

Grande admiratrice d’Éric Fottorino, dont j’ai énormément aimé les précédents ouvrages – Baisers de cinéma et L’homme qui m’aimait tout bas – j’étais curieuse de découvrir son dernier roman.

Ce qui m’a doublement attirée vers lui, c’est le choix du prénom d’un de ses personnages, un prénom très rare qui se trouve être également celui de ma fille : Automne.

Alcide Chapireau est un père meurtri qui va nous raconter son histoire. Un récit qui s’ancre à deux pas de l’océan Atlantique, dans le village de Coup-de-Vague. Le bonhomme, au passé pas facile et plutôt taiseux du sentiment, travaille dans un parc à huîtres, après avoir roulé sa bosse sur des chalutiers une bonne partie de sa vie. Il a deux fils, Zac et Marcel, dont la mère est décédée plusieurs années plus tôt.

Les enfants sont encore petits quand il fait la connaissance de Laura, une cliente qui le charme immédiatement, lors même qu’il ne s’attendait plus à l’amour. Très vite, ils s’installent ensemble et forment une famille recomposée – car Laura a un fils de son côté. Bien vite, le comportement instable, insécurisé, manipulateur et pervers de la jeune femme se fait jour. Mais Alcide l’aime, en est fou, passe l’éponge sur chaque crise. D’autant que Laura est enceinte de lui.

C’est dans un souffle printanier qu’apparut Automne.

(J’ai trouvé cette simple phrase magnifique, avec l’envie de l’apprendre à ma fille)

Éric Fottorino possède une plume assez classique, très élégante, sans fioritures, précise et très évocatrice. Ses descriptions ont une belle profondeur et on ne s’y ennuie jamais. Ses capacités de conteur m’ont littéralement happée. Pourquoi ce titre, dans cette histoire de famille, me direz vous ? Car c’est bien le crime qui sous-tend l’ensemble du roman : un crime qui n’est pas à mettre sur le compte de la folie, mais plutôt du désir de ne plus souffrir.

La légitime défense d’un homme que sa compagne foule aux pieds, humilie, blesse volontairement. Une femme folle, ravagée par l’auto-destruction, gagnée par ses démons et qui aura toujours « cherché son assassin. » Alcide veut dire la vérité à sa fille qui a désormais 20 ans. Il commence des lettres qu’il finit toujours pas froisser.

Ce livre est un testament d’une infinie noirceur, d’une tristesse totale qui parle d’amour et de ses ravages, de désirs et de souvenirs, du temps qui passe et de celui qui reste.. Mais que reste -t-il quand tout amour a déserté votre vie ? Quand l’impression de gâchis est trop grande ?

Fottorino livre ici une histoire dense, tendue et obscure où, par instants, miroitent la magie et la beauté – celles des paysages naturels, de cette mer coruscante – et l’indéfectible amour d’un père désespéré.

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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