Des gens comme eux (2020) – Samira Sedira

« Humanité tremblante »

« Voilà ce que j’ai fait », dit ma mémoire. « Je n’ai pu faire cela », dit mon orgueil. »

Cette citation de Nietzsche prononcée par l’expert psychiatre au cours du procès aux assises rapporté dans le roman résume bien toute la difficulté de la conscience humaine à assumer ses responsabilités. Et ici, elle est lourde : sur le banc des accusés, un homme est jugé pour un quintuple meurtre. Deux parents, trois enfants.

Samira Sedira, comédienne et écrivain, nous offre avec ce (trop) bref roman (140 pages) une plongée au cœur d’une affaire qui défraya alors la chronique judiciaire hexagonale : l’affaire Flactif au Grand-Bornand. La romancière prend toutefois des distances  et des libertés avec le réel en modifiant le nom des lieux et des protagonistes, mais le lecteur un peu au courant des faits divers s’y retrouvera très bien.

J’ai trouvé assez artificiel le bousculement de la temporalité : Samira Sedira place son histoire en 2015, juste après les attentats (alors que les faits savoyards se sont déroulés en 2003), ce qui n’apporte rien d’intéressant au récit. Enfin, en choisissant de donner la voix à cette Anna, en brossant le tableau d’une compagne victime qui se retrouve seule avec ses filles et doit refaire sa vie, l’auteur modifie la réalité.

En effet, la compagne du tueur a été elle aussi condamnée à de la prison ferme, tout comme les amis complices. Ainsi, Samira Sedira modifie notre perception de cette affaire en changeant radicalement le dénouement et en déchargeant totalement les complices, ce qui est un parti pris discutable moralement.

Ce sont mes seules réserves sur ce texte que j’ai beaucoup aimé dans l’ensemble. L’auteur se glisse dans la peau de la femme du meurtrier, celle qui semble tenir le pire rôle puisqu’elle n’a rien vu venir, rien empêché et porte donc une culpabilité intarissable.

Le récit, majoritairement écrit à la deuxième personne, s’attache au parcours de Constant Guillot, ce « tu » qui a tué, ses espoirs déchus, ses ambitions avortées, mais aussi ses filles et ses parents aimants. Peu à peu se dessine tout l’objet de ce texte : tenter d’humaniser le monstre. Écho troublant avec ma lecture précédente (L’empreinte d’Alexandria Marzano-Lesnevitch), dans l’ombre du couloir de la mort…

J’ai aimé l’alternance des chapitres qui rendent compte des audiences lors du procès (qui jettent une lumière différente, pathétique, sur le meurtrier) pour revenir ensuite à rebours sur les mois qui ont précédé le massacre dans le chalet. On y comprend les rapports troubles qu’entretiennent le couple Constant et le couple Guillot, et ce mélange menaçant de jalousie, de rivalité, de honte et de frustration qui couvait et annonçait la tragédie à venir. Ajoutons à cela une sombre affaire de placements frauduleux et d’argent non rendu et nous avons là réunis tous les éléments du drame.

Le compte-rendu de la tuerie m’a remis sous les yeux la scène de règlement de comptes familial qui se tient au début du film Léon. À cause des enfants. Je n’ai pas de mots pour décrire la scène qui suit l’incipit, quand le meurtrier raconte comment il a tué les 3 petits… Cela pourrait être un plaidoyer en faveur de la peine de mort. On reprend un peu d’air par la suite mais l’horreur de ce moment demeure dans l’esprit du lecteur, inexorablement.

Ce qui frappe finalement dans cette terrible histoire, c’est finalement « l’extraordinaire banalité du Mal » théorisé par Arendt : le meurtrier est décrit comme un homme normal que rien ne disposait à une telle explosion de sauvagerie. La frontière entre folie et normalité paraît si ténue… Dans un style sans chichis et efficace, à la frontière du poétique (surtout l’ouverture), Samira Sedira nous embarque dans cette affaire monstrueuse, rivière de souffrances infinies où il est bien ambitieux de faire scintiller la moindre parcelle d’humanité.

L’auteur y parvient grâce à cette voix de femme désespérée, qui a vécu avec un inconnu qu’elle pensait connaître et qui aura à vivre avec ce poids sur le cœur jusqu’à la fin de sa vie. Et qui devra plus que tout préserver leurs deux filles de l’horreur passée. Poignant.

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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