Être à sa place (2022) – Claire Marin

Destinées arbitraires

Passionnant petit essai scindé en 35 brefs chapitres percutants, « Être à sa place » (habiter son corps, habiter sa vie) de Claire Marin interroge la question des espaces (réels ou symboliques) que nous occupons dans la vie, qu’il s’agisse de lieux d’enracinement, de doubles vies, de trajectoires parallèles, de voyage, de la place des femmes, de l’exil, de la place du corps…

Une tentative de balayer les différents « cadres » (de toute nature) de nos vies, et d’étudier succinctement ce que les endroits font de nous, sur nous. En quoi ils réactualisent certains instants du passé, pourquoi on décide de tracer certaines lignes de fuite, quels sont les canevas à l’arrière-plan de nos choix de vie et d’ancrage..

C’est toute une « poétique de l’espace », du mouvement et du déplacement (physique ou psychique) que dessine Claire Marin à travers cet essai que j’ai dévoré. Je suis un peu plus réservée sur les chapitres concernant les femmes, toujours présentées comme des créatures perpétuellement brimées et invisibles.. Ce n’est pas vraiment ce que j’ai remarqué depuis que je suis née (en 1985).

Claire Marin, philosophe à la ville, pose la question de nos racines, de nos ports d’attache, du libre-arbitre, de ce qui décide de nos allées et venues, en se penchant sur ces espaces du dehors comme du « dedans » (pour reprendre Michaux) qui tissent l’imprévisible trame de nos existences.

À l’appui d’une riche bibliographie, brassant romans ou essais (de Foucault à Dino Buzzati), l’auteur nous invite à un voyage réflexif, psychologique et métaphysique de grande qualité, tout en nous guidant vers de nouvelles découvertes intellectuelles et lectures.

Brillant !

Extraits :

Parce que notre corps reste marqué par les schémas affectifs de l’enfance, ceux-ci pourraient agir en nous comme une force d’attraction du passé. « L’empreinte de ce premier monde », selon l’expression d’Annie Ernaux, influe peut-être sur notre présent dans des élans intimes d’affection et de désir. (…) les échos d’émotions anciennes mais toujours vives.

Si on se laisse prendre par la passion, c’est parce qu’elle nous délivre d’une identité dans laquelle on s’était laissé enfermer, par contrainte, habitude ou résignation, ainsi que de la frustration de n’être pas vraiment soi-même.

Quelle angoisse, quel manque nous poussent à esquisser de nouvelles lignes de vie ?

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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