In silico (2022) – Christine Deviers-Joncour

Les valets de Silico

Que peut-on espérer dans un monde où la justice n’avait plus aucune signification et où l’homme était nu comme un spectre ? (…) Quand il s’agissait de révéler les petits secrets du pouvoir, l’opacité était de mise, mais quand il fallait surveiller la plèbe, c’était un tout autre discours. Fichage généralisé, traçabilité du citoyen, télésurveillance, une société de plus en plus sécuritaire.

Toute ressemblance entre la cyber-dystopie imaginée par Christine Deviers-Joncour et le début du XXIème siècle serait bien entendu purement fortuite. Toutefois, le discours porté par le big boss (Laurus Shield) de ce » meilleur des mondes »- mélange de 1984 et de Fahrenheit 451- évoquera sans doute aux plus « complotistes » d’entre nous les plus « beaux » discours de Klaus Schwab, Jacques Attali ou d’Ursula Von der Leyen. La présence d’une pyramide surmontée d’un œil lors de la réunion des huiles n’échappera à personne- ce symbole maçonnique, largement repris par Macron, est connu de tous.

Le titre annonce la couleur et sous quelle égide se place le récit : « In silico » est un néologisme d’inspiration latine désignant une recherche ou un essai effectué au moyen de calculs complexes informatisés ou de modèles informatiques. Cette expression est surtout utilisée dans les domaines de la génomique et la bioinformatique. » Il sera donc question d’expérimentation cyber(gé)nétique à base d’intelligence artificielle, pour résumer.

L’auteur, qui fut surnommée « la putain de la République », aggrave son cas « conspirationniste » avec ce cauchemar littéraire au-delà du réel qui nous fait entrer dans un sombre univers carcéral, « In silico », régi par des ministères de la Surveillance et de la Propagande. Un monde orchestré par des médias et une justice à la solde d’un pouvoir tyrannique qui a toujours un œil sur ses esclaves (via une sorte de Big Brother installé dans chaque appartement et appelé « Bébé œil »). Un monde sans arbre ni fleurs, fondé sur l’arbitraire et la servitude volontaire où l’on enferme les propriétaires de livres, par exemple.

Elem, une jeune femme rebelle, aidée d’un mystérieux garçon croisé au hasard d’une traversée du miroir, va tout tenter pour percer les secrets de cet enfer et tenter de libérer ses semblables au péril de sa vie (elle devient vite l’ennemie numéro 1, pourchassée comme dans Fahrenheit 451).

Nous suivons les personnages évoluant parmi des visions et des paysages qui m’ont parfois semblés naïfs et éculés : on trouve dans le monde « positif » (appelé Avilion, écho à Avallon ?) des licornes, des lumières nacrées et des pianos ; dans la cité infernale, In silico, ce ne sont que trottoirs poisseux, grisaille et chape de plomb. Une conception binaire classique, mais plutôt efficace car bien connue des lecteurs.

L’écriture de la romancière, bien qu’agréable et offrant de jolies références (Nerval, Yeats), n’échappe pas à une forme de candeur un peu mièvre, au lyrisme plutôt convenu. Des parallèles un peu trop attendus (comme le rêve du papillon de Tchouang-tseu) et une forme d’angélisme touchant qui aurait gagné à sortir un peu des sentiers rebattus par les grands titres de la SF.

La fin, curieuse, qui hésite à verser dans l’optimisme et le confie, utilise la mise en abyme, procédé romanesque classique mais ici trop rapide pour être bien compris dans ses intentions. J’ai noté par ailleurs quelques coquilles que l’éditeur aurait gagné à repérer avant publication.

En résumé, un roman SF pas forcément original mais qui se lit sans déplaisir, comme on parcourt avec soulagement un diagnostic qui arrive aux mêmes conclusions que nous et nous fait nous sentir moins seuls.

Une phrase sur laquelle méditer actuellement, d’un philosophe inconnu cité dans le livre :

Notre appartenance au monde des images est plus forte que notre appartenance au monde des idée

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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