Je, tu, elle (2018) – Adeline Fleury

Passionnégo

S’il y a une chose que je déteste par-dessus tout, c’est ne pas aimer un livre dans lequel je fondais beaucoup d’espoir. D’autant plus si la maison d’édition me l’a gentiment envoyé. Et qu’il démarrait plutôt bien. Oui, ça avait bien commencé, cette affaire. Déjà : l’objet. Un joli format un peu plus grand qu’un poche, une élégante couverture marbrée de rose pâle et ce titre intriguant qui joue sur l’homophonie des trois pronoms accolés – « je tu(e) elle ». On pourrait trouver que cela manque de subtilité – et c’est finalement ce que je me dirai du « roman » une fois refermé-  mais ce titre m’a séduite a priori. Je dirais que le premier tiers – ce « je » radical, habité, torturé – est réussi. Il livre des passages incandescents et sincères au lyrisme bouillant qui ont fait vibrer l’éternelle amoureuse que je suis :

Il est entré dans ma vie, dans mon corps, dans mon âme. Tout de suite, je l’ai aimé, Lui. Tout de suite je l’ai aimé aveuglément, violemment, amoureusement, passionnément, tendrement, assidûment, pleinement, entièrement, goulûment, tous les « ment » de la langue française ne suffisent pas à décrire l’ampleur pour Lui de mes sentiments.

Alors, certes, le propos n’est pas d’une folle originalité mais on sent que ça vient des tripes, cette déification (d’où la majuscule) de l’être aimé. L’auteure raconte les effets de cette passion dévastatrice, le quotidien de cette intense liaison qui les a laissés exsangues, les symptômes du manque sexuel, les infernales obsessions. L’impression de dévoration qui en fait presque une amoureuse cannibale. Un « je » derrière lequel on reconnaît sans peine Adeline Fleury, qui assume avec une force parfois tonitruante cette confession intime.

Et puis, peut-être parce que je me suis lassée de l’autofiction, l’exercice littéraire préférée des femmes de notre époque (et dont certaines représentantes, pourtant saluées par la critique, m’ont laissée de marbre voire exaspérée), mais passé le premier tiers, ce récit asphyxiant m’a écœurée. Par sa facilité, et par son impudeur justement – et pourtant, parfois, ça fonctionne bien comme chez Pauline Delabroy-Allard – son manque de subtilité, son absence de sentiment (il est en effet essentiellement question de passion sexuelle, physique), le désert de singularité (le nombre de tics et de poncifs à la fois stylistiques et thématiques de ce livre est incalculable : le personnage se réveille trempé de sueur froide, le paysan est forcément bourru, taiseux mais pétri de sagesse proverbiale.. ), les mystères artificiels qu’il entretient et sa fin grand guignolesque ahurissante.. (qui pourtant marche très bien, dans le même ordre d’idée, chez Gautier Battistella)

Aucun personnage n’est attachant (l’Actrice diva étant un parangon de superficialité imbécile et de narcissisme), ça tourne en rond, c’est pesant, anxiogène, parfois décousu (comme cette histoire de vieil homme dans le restaurant..). J’ai rarement été si soulagée de terminer une lecture ! J’imagine qu’il s’agit pour l’auteure d’offrir un tombeau de papier à cet amour mort et à ce ballet à trois. Mais à trop s’écouter écrire, à trop vouloir dire la drogue de la passion charnelle, elle s’est embourbée dans un récit sans âme et sans cœur qui laisse le lecteur constamment en-dehors et en même temps beaucoup trop près de cette intimité.

Je l’ai entendue dire que ce livre constituait la fin d’un cycle sur le désir féminin entamé avec ses précédents romans. Soit. Et c’est vrai que ce récit en dit long sur le désir d’homme de cette femme dont la soif sexuelle pathologique, la détresse sentimentale névrotique, sont hallucinantes. Pourtant, et il est difficile de dire pourquoi – et toute l’injustice est là – l’émotion n’est pas au rendez-vous.

Je sauverais tout de même quelques éléments : les glaçons de larmes à faire fondre dans le whisky de l’aimé et ces séances de sorcellerie bretonne vraiment très bien décrites. Quelques trouvailles poétiques plutôt bien senties aussi. Tout le reste n’est qu’une lointaine tentative de régurgitation pseudo-psychanalytique de Duras à la sauce Angot : une mixture plutôt prétentieuse et assez convenue – résolument indigeste.

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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