Le serment sur la moustache (2022) – Samuel Piquet

Nimportnawoke

Samuel Piquet réhabilite ici un genre (puisqu’on en parle) littéraire qui n’a plus guère cours ces derniers temps : la satire, à travers une peinture à peine exagérée d’un gauchiste embrassant tous les trips de son camp, tel un extrémiste (ou tel la gamine de l’Exorciste qui cumule différentes tares sataniques qu’on ne verrait jamais sur une seule personne) : antiraciste flairant du racisme partout, chantre de la tolérance ne tolérant personne ne pensant pas comme lui, buvant comme Parole d’évangile des discours creux et débilitants, prêt à tout pour combattre un fascisme imaginaire, d’une soumission insensée à l’égard de tous les diktats sociétaux, incapable de remettre en question la parole politichienne, premier degré permanent, soumis comme jamais (mais non sapé)… On les (re)connaît bien.

Je suis heureuse d’être sortie de ce livre, non qu’il ne soit pas bien écrit et assez drôle, mais le personnage principal déchaîne en moi des envies de torture chinoise. Guillaume, caricature de prof gauchi.. ste (pour ne pas employer un qualificatif plus grossier, qu’il mériterait amplement) et chantre d’un vivre-ensemble auquel ils sont hélas encore nombreux à croire, évolue dans le monde « merveilleux » des Bisounours antiracistes, s’en donne à cœur joie dans la dénonciation des mâles blancs et du patriarcat (sans voir qu’il se tire une balle dans le pied), n’a jamais de mots aussi tendres que lorsqu’il s’agit de parler des racailles, est heureux de se faire cracher à la tronche par ses élèves tandis qu’il se plie à leur ignorance (et partant la préserve) en les faisant dénoncer le sexisme cisgenre des poèmes de Baudelaire… La capacité de cet individu à comprendre tout à l’envers, à inverser les valeurs et à s’enfoncer dans le déni de réel est totale.

Pour Guillaume, le plus important avec les élèves était de savoir « dialoguer », ce qui consistait le plus souvent à écouter leurs récriminations, à accorder du crédit à leurs mensonges et à croire sur parole leurs bonnes résolutions. Il ne fallait jamais oublier qu’ils étaient les nouveaux Misérables. (…) Subir les moqueries des collégiens était son repentir et les défendre était sa pénitence.

Tant de bien-pensance, de philosophie du camp du « Bien » (autoproclamé) étalées avec autant d’aplomb et de morgue ad nauseam et dans toute situation m’a vraiment terrifiée.

Pour couronner le tout (déjà intenable) Samuel Piquet affuble son abruti de personnage d’une compagne peut-être encore plus tête à claques que lui (euphémisme) : Louise, prof, militante et aspirante activiste, pour qui le couple est le lieu de toutes les déconstructions, qui doit permettre d’écraser le « dominant »- l’homme- au profit d’une liberté absolue accordée à la victime (elle, et toute femme par définition). Guillaume doit devant elle éviter tout « mansplaining » afin de ne pas « l’invisibiliser dans le couple », doit s’engager à ne jamais utiliser certaines expressions comme « islamogauchisme » ou « racisme anti Blancs », préférer « circlusion » au masculiniste « pénétration »… Et j’en passe – et des bien pires.

Le couple, qui a signé un accord de consentement préalable avant toute séduction (si on peut appeler ça ainsi) voue une admiration délirante à Ewy le Plen, journaliste moustachu et fondateur de *Mediapartition ». Toute ressemblance etc.

Samuel Piquet a été cherché loin ses pseudonymes et le lecteur peinera à reconnaître les identités réelles sous les masques, un vrai casse-tête : Anne Idéalbo, Éric Zéneux, Marlène Chaipas, Christiane Tablerase, Emmanuel Omacron, Jean-Luc Mélangeons, Benoît Ahbon…


Non, « Le serment sur la moustache » n’est pas un roman à clef, difficile d’ailleurs de le ranger dans un genre. La couverture indique « roman-pamphlet » mais il n’est pas ce « texte bref et violent attaquant les institutions » (selon la définition), davantage une moquerie ironique, une satire et une parodie du cirque politico-médiatique et de sa ménagerie. Samuel Piquet se joue et raille et taille et vanne le théâtre politicard et ses protagonistes en forçant le trait – un peu trop selon moi hélas pour être véritablement efficace. L’idée était manifestement de se lâcher et de lâcher les chevaux de la comédie politique légère, sans verser dans l’accusation diffamatoire directe ou le politiquement incorrect. Les discours qu’il prête à Macron ou à Taubira sont d’ailleurs bien plus spirituels et moins médiocres que ceux qu’ils sont véritablement capables de produire.

J’ai particulièrement souri à celui de Macron (un comble, quand on sait la détestation que j’ai du personnage!) car ce mélange bullshiteux de globish et de mépris social était fort réussi de la part de l’auteur, toujours inventif dans le drolatique.

Loin de ce que dit la 4ème de couverture (qui semble faire de Guillaume un pourfendeur de la « dictature du minotariat »), loin de dénoncer les dérives et les délires de la gauche indigéniste et décolonialiste, le personnage les épouse voire en redemande. C’est un extrémiste. Plus gauchiste que la plus gauchiste de tes copines. Un type qu’on a envie de baffer dès la première page et qu’on est ravi d’abandonner enfin à son cerveau putréfié une fois le livre refermé.

C’est un « Entre les murs » à la sauce woke avec des profs qui prennent fait et cause pour les éléments perturbateurs et violents qui les offensent, leur trouvent toujours une excuse, et qui tendent l’autre joue après le premier soufflet.

J’ai pensé à Fabcaro bien sûr, pour la moquerie des travers d’une époque imbécile, à Blanche Gardin (notamment lors de la scène du cours de « détox émotionnelle pour une meilleures harmonie des chakras synergiques et un recentrage inspirant » (sic), j’ai aimé les clins d’œil à la popculture des années 90 (comme « laissez la police faire son travail »), mais aussi les exergues placés à chaque entame de chapitre qui donnent un peu de hauteur à ce marais gauchiste à pleurer de débilité.

Zweig, Péguy, Flaubert, Orwell, Montesquieu, autant de phares dans la nuit noire de l’intelligence et du bon sens dans laquelle nous plongent tous ces fossoyeurs de l’esprit.

Poussant loin la créativité, jusqu’à imaginer une Marseillaise woke, une réécriture de Baudelaire ou des discours politocards plus vrais que nature, semblant hésiter entre satire et raillerie directe (« on peut discuter de tout sauf des chiffres d’Olivier Véran ») Samuel Piquet moque et amuse avec ironie davantage qu’il dénonce avec virulence. On n’en attendait pas moins de la part de l’un des pères fondateurs du Gorafi, également auteur à Marianne, qui aime se gausser des idées reçues, tacler les consensus, brûler les idoles avec humour et mettre en lumière les hystéries et absurdités de notre temps.

Pas révolutionnaire, mais franchement marrant et pertinent (et assez courageux).

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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