La chaleur (2019) – Victor Jestin

Le vent l’emportera

Sorti en 2019, le premier roman de Victor Jestin s’était accompagné d’un bel accueil critique qui avait consacré la naissance d’un écrivain.

Trois ans et 139 pages plus tard, j’ai fait un sort à « La chaleur » ou le récit de 24h dans la vie de Léonard, un jeune homme taiseux et coincé qui a assisté à la mort d’Oscar, un copain de camping, et n’a rien fait pour le sauver. Pire, alors qu’un humain normalement constitué aurait immédiatement averti les secours de cet accident (des cordes de balançoire qui l’ont étranglé) Léonard va traîner le cadavre jusqu’à une dune et l’enfouir dans le sable. Pas vu, pas pris. S’en suit une phase de déni, de tentative d’oubli.

« Tant que je ne voyais pas le trou, le trou n’existait pas »

« On n’est pas sérieux quand on a 17 ans », et qu’on vit un peu reclus dans son intériorité, flippé, stressé face aux filles, mal à l’aise devant les parents qui se renseignent sur les amours de leur aîné.. On sent à la sincérité du ton que Victor Jestin a laissé infuser beaucoup de vécu dans cette chronique adolescente un peu glauque mais touchante dans ce qu’elle dit de la gaucherie de cet âge plein d’espoirs souvent déçus et d’amourettes sans lendemain. Le narrateur dit également très bien la coloration criarde des loisirs de camping, leurs divertissements outranciers (tel ce lapin avec qui Léonard finit par en venir aux mains), leur joie un peu vulgaire, leur bonheur pas cher. Malgré le crime, l’endroit continue à s’épanouir sous le soleil, comme si de rien n’était, dans une course aux plaisirs intolérable pour celui qui se sait coupable.

En plus d’avoir un (quasi) crime sur les bras, le narrateur doit socialiser avec ses semblables, dont la plupart ne vibre que pour une seule chose : les rapprochements avec le sexe opposé. Même une « baise triste » suffira à sauver les vacances, chacun s’ingénie donc à « serrer » (et plus si affinités) autant que faire se peut. C’est le temps des « brèves amours éternelles » dont parle Andreï Makine, qui ne pourra que résonner aux oreilles du lecteur qui se souvient de ses émois et ses larmes d’adolescence.

Les amitiés se faisaient, se défaisaient au détour des allées. Les cœurs s’enflammaient et se brisaient dans une même journée.

L’écriture au service de cette histoire est très sobre, un peu trop blanche à mon goût, retenue- à l’image du narrateur qui a du mal à exprimer ses sentiments, à verbaliser ce qu’il vit, se contentant fréquemment d’un » je ne sais pas » laconique qui agace ses interlocuteurs (et moi).

J’ai été surprise par le temps que met la mère d’Oscar à s’inquiéter de l’absence de son fils, et puis j’ai compris que (malgré les apparences de durée) le récit s’étale sur seulement 24h. Unité de temps, de lieu et d’action : nous sommes donc bien dans la tragédie, une tragédie contemporaine.

Difficile de ne pas porter un regard moral sur l’attitude de Léonard qui se rattrape in extremis à la tout fin, mais en exagérant puisqu’il s’accuse du crime. Toujours en décalage, ce garçon, décidément.

Un premier roman intéressant et singulier, qui pose des questions profondes sous son apparence de sobriété : une voix à suivre.

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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