Un bref instant de splendeur
La littérature est parfois le lieu idéal où faire et voir renaître des personnages oubliés, où sont réhabilités des êtres mal compris par la postérité. Je pense à ce qu’a fait Corinne Royer du destin de Marthe Gautier, ou Amaury da Cunha quand il s’est emparé de la vie de Minnie Dean, pour ne citer que de récents exemples.
Miguel Bonnefoy trace depuis quelques années un sillage coloré, exotique, qui boit à la source d’œuvres pleines de fantaisie, d’éclat et de verve comme celle de Garcia Marquez. Il aime également les personnalités singulières, les destinées inattendues, les espaces intouchés, le caractère pionnier des quêtes. On l’a vu dans « Jungle », sa forêt dense et sa cascade légendaire, dans « Sucre noir » et son obsédant trésor ou dans la saga des Lonsonnier entre France et Amérique du sud avec « Héritage ».
Taiseux et solitaire, il est en fait fait pour l’étude et les longues recherches esseulantes, même si la vie lui envoie quelques mises en garde.
« Dans cette maison, la science porte malheur »
Le destin semble l’avertir des dangers de l’étude -la scène burlesque de la mort de l’officier, écrasé « comme un cafard au milieu de son salon »- mais Augustin Mouchot croit en sa bonne étoile et persévère. Ce que j’ai trouvé aride dans cette histoire, c’est l’absence totale d’amour ou d’amitié dans la vie de ce solitaire invétéré. Miguel Bonnefoy ne nous épargne aucun détail technique des machines mises au point par Augustin et de ses multiples tentatives, mais l’absence de sentiment rend la lecture parfois un peu laborieuse, je dois l’avouer.
Mais c’est qu’Augustin est une personnalité laborieuse, totalement voué à ses recherches, ne vivant que pour elles, ne s’économisant pas. « Enflammé » par l’idée de ces alambics miroirants, le chercheur met tout en œuvre pour parvenir à ses fins, avec une ténacité admirable.
« Comprendre le ciel est un travail ingrat, mais il faut bien que quelqu’un le fasse »
Convaincu que « le soleil est l’avenir » et que « l’intensité calorique de la vapeur » en est la clef, Mouchot va multiplier les essais- au début dans la cour de son lycée, puis devant l’empereur Napoléon III et durant l’exposition universelle de 1878 (cette fois flanqué de son associé puis repreneur, Abel Pifre), dans l’espoir d’une reconnaissance définitive et d’un tremplin industriel solide à l’heure où tous les regards se tournent vers le charbon.
Bonnefoy écrit qu’il « ne suffisait plus d’inventer, il fallait surprendre ».
Finalement, Mouchot est un visionnaire, en avance sur son temps, comme tous les génies (un peu maudit, aussi). Nous lecteurs de 2022, savons que les énergies fossiles sont extrêmement polluantes, tandis que les renouvelables constituent l’avenir. Augustin a juste eu raison trop tôt mais, comme le dit l’adage, « nul n’est prophète en son pays. »
Sa vie de chercheur le mènera en Algérie- son engouement pour cette terre m’a rappelé les émois d’un Albert Camus- mais Augustin rencontre bien des obstacles, des embûches et des revers. « Loin de toute vanité », la modestie et l’humilité de l’inventeur le conduisent toujours à remettre sur le métier son solaire sacerdoce. D’une santé fragile mais doué d’une volonté inflexible, Mouchot tombera « sept fois mais se relèvera huit », convaincu qu’un travail acharné fera aboutir son rêve.
J’ai moins retrouvé dans ce roman que dans les précédents ces propositions enchanteresses et dépaysantes dont Miguel a le secret- à peine lors de l’arrivée en Algérie peint-il « neuf ânes bleus chargés d’alambics solaires et de miroirs de cuivre » car l’ensemble est plutôt sérieusement documentaire, ne s’éparpille ni ne s’égare dans les contrées farfelues tissées de réalisme magique auxquelles Miguel nous avait habitués. J’ai toutefois renoué avec bonheur avec la faconde mirifique de ses portraits, les personnages sont saisis avec gouaille en quelques trait saillants : le romancier excelle dans cet exercice.
Malgré un certain ennui par moments, je ne peux que reconnaître que l’ensemble est fort réussi ; j’ai été surprise et captée par ce destin hors normes, par cet homme qui lutta comme une bête de somme pour faire éclore son projet, par cette vie entièrement dédiée à une idée fixe : un destin (tryphon) tournesol comme seul sait en inventer le réel, qui nous dit l’Homme traversé de fulgurances et comme certains sont assez fous pour se mesurer à la plus brillante étoile.