Aux animaux la guerre
C’est pourtant simple : l’homme a un énorme devoir à accomplir envers les animaux : les aider à vivre leur vie jusqu’au bout ; quant aux espèces apprivoisées, il doit leur procurer amour et tendresse car les bêtes nous donnent bien plus qu’elles ne reçoivent de nous.
C’est ma première incursion dans la littérature polonaise et je commence par du lourd : un prix Nobel. J’avoue humblement d’entrée que je suis arrivée jusqu’au texte d’Olga Tokaczuk par l’entremise originale.. de Dua Lipa (qui, non contente d’être une talentueuse pop star planétaire d’une beauté ravageuse est également une grande lectrice qui anime son propre podcast !).
Ceux qui manient la plume peuvent être dangereux. On les suspecte tout de suite de menti, de ne pas être eux-mêmes, de n’être qu’un œil qui ne cesse d’observer, transformant en phrases tout ce qu’il voit ; tant et si bien qu’un écrivain dépouille la réalité de ce qu’elle contient de plus important : l’indicible.
J’ai été saisie d’entrée par l’atmosphère à la fois chaleureuse et mystérieuse de ce roman, qui nous campe une narratrice très attachante, Janina Ducheyko. Cette enseignante retraitée vit en rase campagne près de la frontière tchèque et passe son temps entre ses observations du vivant (elle voue une passion à toutes les bêtes alentour) sa lecture des thèmes astrologiques et ses traductions du poète William Blake, activité à laquelle elle s’adonne aux côtés d’un ancien étudiant et désormais ami.
Mais la quiétude de sa petite vie est soudain mise à mal, dès les premières pages, par la découverte du cadavre d’un de ses voisins. Rapidement, les macchabées s’enchaînent qui tous avaient, de près ou de loin, un rapport avec la chasse. Pour Janina, il apparaît bien vite qu’il s’agit là d’une vengeance animale, d’un juste retour des choses. Car ce texte aux allures de roman policier (et les forces de l’ordre interviendront bien des fois au fil de l’histoire) n’est en vérité qu’un vaste plaidoyer en faveur de la protection de la vie et un appel à cesser le massacre des animaux à des fins alimentaires. On sent que l’auteur a voulu faire passer, et avec une ferveur contagieuse, toute sa rage guerrière face à cette « monstruosité » décomplexée à laquelle tout le monde s’est habitué sans sourciller.
Il faut se souvenir que le monde est une toile gigantesque, qu’il forme un tout et qu’il n’existe rien, absolument rien, qui soit à part. Même le plus petit fragment de l’univers est lié au reste à travers un cosmos sophistiqué de correspondances qui se laissent difficilement pénétrer par un simple esprit. C’est ainsi que cela fonctionne. Comme une montre suisse.
Sous ses dehors de petite mamie sans histoires, Janina est un personnage très « habité » et inspiré, qui ne s’en laisse pas conter et n’hésite pas à bousculer ses semblables avec furie pour exprimer son point de vue. C’est une femme qui plaît au lecteur car elle possède une vraie personnalité et agit à contre-courant de la majorité, à rebours du troupeau et de la pensée commune. Sa santé et son moral sont fragiles, pourtant on sent une saine colère bouillir en elle fréquemment, que le lecteur ne peut que partager.
Grande amatrice d’astrologie, j’ai également adoré cette lumière particulière jetée sur les individus et les événements au cours de l’histoire, une approche qui m’a semblé vraiment singulière (inédite ?) et passionnante. Janina (comme sans doute l’auteur) est convaincue que le thème astral contient tous les secrets de la destinée d’un individu, date de la mort comprise.
« Sur les ossements des morts » est un grand texte car il traite de transcendance, de déréliction existentielle, de vérité, de finitude, du rôle de l’homme par rapport aux animaux, du ciel vide ou non, de notre façon de communi(qu)er avec notre entourage, de l’empreinte qu’on laisse..
C’est un roman qui brasse de très amples questions métaphysiques avec une économie de moyens et une humilité remarquables (mais non sans manquer de souffle et d’enthousiasme), tout en installant brillamment une atmosphère très intriguante et un protagoniste décidément pas comme les autres (m’a fait un peu penser à Miss Marple ou à Jessica Fletcher d’Arabesque). La traduction est aussi à saluer, qui réussit à nous envelopper comme il se doit dans ses descriptions poétiques et ses envolées lyriques.
Que faites-vous de cette avalanche de viande de boucherie qui, chaque jour, s’abat sur nos villes telle une pluie apocalyptique et sans fin ? (…) Le cœur humain n’est pas en mesure de supporter autant de souffrances.
Bref, un vrai coup de cœur pour ce texte singulier, humaniste, très joliment engagé, mais surtout profondément intelligent et sensible, invitant à des réflexions inattendues.