Taqawan (2017) – Eric Plamondon

Amers indiens

Difficile de résumer ce livre édité par la belle maison meudonnaise Quidam éditeur (que je remercie au passage pour cet envoi) et dont j’avais entendu tant de bien qu’il me tardait de me faire une idée.

Dans ce roman, nous suivons une intrigue haletante comme un thriller, peuplée de plusieurs personnages (un policier repenti, une adolescente indienne traversant une tragédie, une enseignante française..) qui met le lecteur face aux conflits qui opposent habitants amérindiens de la réserve de Restigouche et policiers québécois.

Un affrontement séculaire qu’Éric Plamondon parvient à mettre en lumière avec intelligence, émotion et sans manichéisme. Taqawan est divisé en de nombreux petits chapitres, et l’intrigue rebondit sur tel ou tel thème qui a trait à l’histoire amérindienne ou québécoise, qui fait écho au modus vivendi des habitants à la sagesse immémoriale ou qui revient sur la culture acadienne de manière générale (comme lors du bref chapitre consacré à Céline Dion ou de la recette de la soupe aux huîtres).

Fil rouge de ce récit singulier, le saumon qui illustre la belle couverture de Quidam et qui apparaît comme la pierre angulaire à la fois du conflit (économique) qui oppose Amérindiens et Québécois, mais aussi de la philosophie (si belle et respectueuse de l’environnement et de toute vie) qui préside aux mœurs des Indiens.

J’ai été assez bouleversée par certains passages très violents, la plume de l’auteur est volontairement sans concessions et ce récit de l’attaque d’un fragile esquif par un gigantesque requin me restera longtemps. Et puis il y a ces passages qui relatent les affrontements, brimades et autres choquantes ratonnades qui ont (eu) cours dans cette zone de l’Amérique du nord, entre les colons québécois et les autochtones qui ne demandaient qu’à vivre en paix et chichement.

On ne peut que s’indigner du traitement qui leur est réservé et l’on comprend aussi, en lisant ce livre, que les fondations du continent américain ont des racines cruelles et sanglantes.

Alors les forces de l’ordre redoublent de coups, s’enragent et deviennent vicieuses. Quand les chiens sont lâchés, quand on donne le feu vert à des sbires armés en leur expliquant qu’ils ont tous les droits face à des individus désobéissants, condamnables, délinquants, quand on fait entrer ces idées dans la tête de quelqu’un, on doit toujours s’attendre au pire. L’humanité se retire peu à peu. Dans le feu de l’action, la raison s’éteint. Il faut savoir répondre aux ordres sans penser. Dans les contrats d’engagement de certaines unités spéciales des clauses obligent le signataire à éliminer les membres de sa propre famille si on lui en donne l’ordre. Des hommes tueront leurs propres enfants si on les leur désigne d’un coup de menton. Alors quand on lâche une bande de gars du Québec dans une réserve, ça finit avec des côtes cassées et des épaules luxées – au mieux.

On en apprend beaucoup sur le culte voué au saumon dans ces contrées – et ailleurs ! (il paraît que ce poisson était servi à Cléopâtre lors de ses 5 à 7 avec César) :

Pendant le Moyen Âge, on défend aux meuniers et aux maîtres de moulins de bloquer entièrement une rivière. Il est obligatoire de laisser un espace de montaison pour le saumon. Celui qui ne respecte pas cette règle est passible d’emprisonnement. Et ainsi de suite, sur chaque rivière, de chaque pays, jusqu’au Nouveau Monde, quand l’homme blanc et la femme blanche font la rencontre d’un peuple qui n’a jamais eu besoin de refréner son avidité par des lois. Depuis des millénaires, la sagesse de l’évidence suffit à ce peuple : si on pêche trop de poissons cette année, il y en aura moins l’année prochaine. Si on pêche trop de poissons pendant des années, un jour il n’y en aura plus.

Entrelaçant brillamment petite et grande Histoire, drame social et considérations politiques, économiques et écologiques à plus grande échelle, Eric Plamondon livre avec Taqawan un roman original et émouvant, qui fera réfléchir chaque lecteur sur sa propre humanité, son respect de la vie et de la nature.

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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