Tenir jusqu’à l’aube (2018) – Carole Fives

Ultra moderne solitude

Une écriture blanche, froide, clinique, qui m’a tout de suite rappelé Chanson douce de Leïla Slimani dans son style donc, mais aussi dans la sourde menace qui pèse, une atmosphère anxiogène qui enrobe le récit et ses personnages.

Carole Fives nous fait rencontrer une jeune mère qui élève son enfant de deux ans à Lyon. Le père est parti sans donner de nouvelles, elle vivote tant bien que mal, épuisée, de son job de graphiste freelance, n’a aucun ami, pas de temps pour elle et passe ses journées en tête-à-tête avec son rejeton qu’elle a souvent du mal à éduquer.

Dès la page 15, par conséquent, le lecteur a déjà envie d’ouvrir le gaz. L’auteur nous narre le quotidien domestique, terne et déprimant, de cette jeune femme qui a pris pour habitude de fuguer chaque soir, laissant seul son fils endormi dans l’appartement. La journée, elle en profite pour tchater sur des forums à la recherche de conseils et d’éventuels témoignages de soutien. J’ai trouvé très bien vu les comptes-rendus de messages sur le forum, les interventions très réalistes des internautes, ce mélange de solidarité et de jugement anonyme qui est le propre des réseaux sociaux.

Carole Fives ouvre son roman d’une citation tirée de La chèvre de Monsieur Seguin de Daudet et cette fable sera le fil rouge, le symbole, l’allégorie de cette mère qui prend un goût dangereux aux échappées qu’elle s’autorise. Pourtant, alors qu’elle tire sur la corde et que le lecteur s’attend raisonnablement à voir un drame advenir, le récit prend une tournure différente, les attentes sont mal récompensées – enfin, la fin est enfin pour moi totalement bâclée.

Carole Fives nous offre un tableau bien sombre de la maternité contemporaine esseulée, de la mère éternellement tiraillée entre ses devoirs domestiques et éducatifs et ses velléités de femme encore jeune et désirant la liberté. Elle dresse un constat radical sur le désarroi qui s’abat qui s’abat sur le parent solo, sur les difficultés à la fois matérielles et sociales afférentes.

Elle pointe également l’égoïsme et la froideur individualistes qui semblent régner en maîtres dans la société actuelle : voisine désagréable, concierge avenante mais peu fiable, auxiliaires de crèche la tançant comme une gamine au moindre retard..  Aucune lueur d’espoir à attendre des concitoyens. Le personnage principal est assez peu attachant, à la fois par l’écriture glacée qui la décrit mais aussi pour ses mauvais choix, son immaturité, la forme d’auto-complaisance qu’elle trouve dans son malheur.

Mais Tenir jusqu’à l’aube a au moins l’intérêt de mettre en lumière l’une de celles que la doxa pourrait considérer comme une mère indigne, une femme qui fait passer ses propres désirs avant ceux de son enfant – à l’heure des mères parfaites sur Instagram, un peu de contrepoint et de retour à la réalité sociétale sont sans doute salutaires. En résumé, ce roman a les défauts de ses qualités : il réussit très bien à nous peindre une situation contemporaine déprimante, dans un style qui l’est tout autant. Le lecteur sort de ce roman peiné, le cœur lourd, et un peu sur sa faim, avec le sentiment de s’être légèrement fait avoir sur la marchandise au regard de la fin décevante. Pas sûre que ce soit le genre de lecture adaptée à l’atmosphère hexagonale troublée et asphyxiante du moment…

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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