Un petit chef-d’oeuvre de littérature (2018) – Luc Chomarat

I gained the world then lost my soul

Avec son titre taquin, Un petit chef d’oeuvre de littérature de Luc Chomarat semble annoncer la couleur : celle de l’humour et de l’ironie. Ou pas ? Ce sera au lecteur d’en juger. Objet Littéraire Non Identifié, cet ouvrage résiste à toutes les classifications. Ce n’est pas vraiment un roman, ni un essai, encore moins un texte autobiographique. Disons que c’est une chronique humoristique qui étrille le milieu littéraire et éditorial actuel autant qu’une réflexion métatextuelle sur la littérature, l’écriture et le statut d’écrivain.

Mais Luc Chomarat dépeint également un libraire suicidaire, démoralisé par la relégation permanente des classiques au profit des dernières nouveautés, un critique littéraire vaniteux ou encore un blogueur ricanant et illettré qui pianote plus vite que son ombre – l’auteur semble en avoir une bien piètre idée.. On y rencontre dès le début le fameux petit chef d’œuvre, un roman personnifié assez brillamment (qui, métonymiquement, parle de son auteur), un individu orgueilleux, tantôt sympa tantôt condescendant envers ses pairs. Le lecteur découvre donc une petite société d’ouvrages qui voisinent et discutent sur un rayonnage. Leurs dialogues sont souvent assez bien sentis, lunaires et divertissants.

Toutefois, on sent que ce que préfère Luc Chomarat, c’est railler les travers de son époque – les métropoles monotones, le vide et les formules toutes faites des critiques littéraires (telles que le titre même de l’ouvrage, refrain repris ad nauseam par tous les médias et qui finit par ne plus vouloir dire quoi que ce soit), les lettres types envoyées par les éditeurs… Avec une acidité satirique, Chomarat moque les clichés en tous genres du monde littéraire :

Pendant la rédaction par exemple, il avait peur de mourir avant d’avoir achevé le livre. C’était très vraisemblable. Il buvait plus que de raison, allumait cigarette sur cigarette. Des jours, des nuits durant. Pas un seul repas correct. Le chef d’œuvre était à ce prix.

Il y a quelque chose de Chevillard chez cet auteur, par le goût qu’il a de jouer avec les mots et de révéler la vacuité de certaines pensées pseudo intellectuelles. Il y a aussi du Venet dans son humour et son second degré. Enfin, pour la tendresse de ses tableaux, pour les conversations farfelues des ouvrages entre eux, livres qui prennent soudain vie sous nos yeux et nous invitent à les faire dialoguer à notre tour, il y a de la magie à la Jean-Pierre Jeunet. L’auteur a du talent pour la concision qui fait mouche :

Ils s’installaient tranquillement avec tout leur attirail, whisky, femmes de mauvaise vie, goût de l’échec. J’aime beaucoup mon livre, dit le critique littéraire en souriant. Je crois que je vais en dire du bien. Comment rester au sommet des ventes, comment conserver intact l’engouement du public ? Tout est bon pour ne pas devenir un livre oublié. Il faut rester sous les feux de l’actualité. Je ne sais pas, moi, organiser des orgies. Conduire en état d’ivresse. Fréquenter des footballeurs ou même des politiques.

On sent chez Luc Chomarat une certaine nostalgie d’une époque pas si lointaine où il était encore fréquent de flâner en bibliothèque, où les critiques savaient de quoi ils parlaient. Réactionnaire ? Peut-être, et c’est tant mieux. Truffant ses 137 pages de très nombreuses références littéraires qui dessinent le paysage sensible de l’auteur, Un petit chef-d’œuvre de littérature est précieux car il est unique en son genre, empli d’un subtil humour et d’une réflexion profonde sur les belles lettres qui feront le miel des lecteurs exigeants. Drôlement délicieux et tendrement corrosif ! Un grand merci aux éditions Marest pour cet envoi !

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

Rester en contact

Restez informé·e !
Chaque semaine, retrouvez mes coups de cœur du moment, trouvailles, rencontres et hasards littéraires qui offrent un supplément d'âme au quotidien !