Avenue des géants (2012) – Marc Dugain

Géant livre

Comme à chaque fois que je suis face à un objet culturel – surtout cinématographique ou littéraire – qui m’a bouleversée, je ressens une certaine pression lors de l’écriture de ma critique : vais-je réussir à dire pourquoi je l’ai tant aimé ? Réussirai-je à vous convaincre ? Me rappellerai-je de tout ce que j’ai envie de dire, tout ce qui me venait lors de cette lecture ou visionnage ? Sans doute non, mais il faut bien se lancer.

Ce bouquin, premier que je lis de cet auteur, m’a retourné le cerveau, m’a totalement renversée à plus d’un titre – je vais essayer d’en faire une petite revue. Déjà, point essentiel pour moi et condition sine qua non de mon adhésion à un livre : l’écriture. Il y a ici un vrai style, de très belles trouvailles de langage, sans toutefois jamais verser dans le bavardage ou dans un lyrisme de bas étage. Jamais l’auteur ne s’écoute écrire, rien n’est laissé au hasard, c’est une plume au scalpel, dépouillée, rapide, nerveuse, efficace, dont les images sont toutefois superbes, les descriptions très dynamiques et qui ont suscité chez moi une grande admiration.

Je ne me suis pas ennuyée une seconde au cours de ces 360 pages, je me suis passionnée pour le parcours chaotique de ce Al, géant si fascinant, si seul, si singulier, fou mais tellement lucide, qui a tué parce qu’il ne pouvait pas s’en empêcher, pour voir ce que cela faisait, d’ôter la vie.

J’ai rarement lu un portrait d’une telle finesse et à la fois d’une telle épaisseur psychologique : si bien dépeint par Marc Dugain, Al Kenner nous en devient attachant, émouvant. Lui qui dit ne jamais pouvoir ressentir d’empathie, voilà qu’il nous tirerait presque des larmes. C’est là le tour de force de ce bouquin magistral : nous renvoyer un miroir, nous interroger sur nos propres turpitudes, sur cette frontière si ténue entre la normalité et la folie, sur les tragédies qui sont notre lot à tous et déséquilibrent parfois la subtile machinerie de nos vies.

J’ai lu ce bouquin pendant mes vacances dans le Var, assise sur les rochers d’une petite crique dans la matinée, ou allongée dans la pénombre tiède de ma chambre dans l’après-midi, profitant de chaque brèche dans ma journée pour m’engouffrer dans ces pages hypnotiques, complètement happée par ce destin hors normes, par la complexité de cet être qui assume pleinement ses responsabilités criminelles et refuse d’être considéré comme un dément.

L’histoire se déroulant essentiellement dans les des années 60, en pleine mouvance hippie, elle est l’occasion d’une passionnante peinture politique des idéaux de l’époque. Car Al est un tueur, mais un tueur de génie, qui porte un regard sévère et sans concessions sur le monde qui l’entoure et qui délivre des analyses souvent d’une grande pertinence. La narration est si bien menée, le récit si parfaitement construit que Dugain parvient à nous surprendre jusque dans les dernières pages, maintenant un fabuleux suspense qui m’a laissée sans voix.

Un conseil : ne lisez rien sur l’affaire, bien réelle, qui est à la source de ce livre, au risque de perdre le sel de l’intrigue. Enfin, j’ai beaucoup aimé le vent de liberté qui souffle sur cette histoire, la gracieuse présence des étendues désertiques de l’Amérique profonde, et la moto d’Al qui se jette sur ses routes immenses, dans un désir d’oubli de soi et une quête d’absolu désespérée.

Une œuvre extraordinaire, cruelle, incroyable et stupéfiante, qui me hantera très, très longtemps.  

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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