Celle qui attend (2019) – Camille Zabka

Between the bars

Camille Zabka enseigne les lettres et Celle qui attend est son premier roman paru aux (excellentes) éditions de L’Iconoclaste. J’ai eu la chance de le recevoir dûment dédicacé par cette jeune femme à la belle écriture déliée et j’avais donc à cœur de chroniquer cet ouvrage comme il se doit.

L’auteur nous emmène dans un univers qui n’a pas été sans me rappeler la première partie de Trois fois la fin du monde de Sophie Divry : un effarant et effroyable monde carcéral où se retrouve plongé le personnage principal. A la différence du roman de Sophie Divry, l’histoire est ici tirée d’une réalité vécue ; d’autre part, le narrateur n’a pas grand chose d’un délinquant : si Alexandre se retrouve derrière les barreaux, c’est pour une affaire de contrôle judiciaire mal suivi.

Pour une raison administrative donc, ce père de famille se retrouve derrière les barreaux. Bien vite, son seul lien à la terre ferme va être ces lettres qu’il adresse à la femme qu’il aime et à sa fillette de 3 ans. Le choix de l’auteur de démarrer les lettres (en italique) par une adresse écrite à la main (et qui ressemble fort à l’écriture de Camille Zabka) m’a semblé très original et comme amenant un supplément d’âme tangible à l’échange épistolaire, ainsi qu’une musique en trois temps  (Pénélope, Pamina).

Même chose pour les photos intégrées au roman, ces morceaux de dessins et ces enveloppes décorées qui sont autant d’éléments qui ancrent/encrent l’histoire dans le réel concret. Nul ne saurait être indifférent à la détresse de ce père qui, dans ses lettres, tente de n’en rien montrer. L’intérêt de ce roman réside dans le changement focal : un récit carcéral à la 3ème personne du singulier, qui relate le terrible et très réaliste quotidien du personnage principal et des passages épistolaires à la première personne.

Le décalage entre le caractère naïf et tendre de la tonalité des lettres – le père s’adresse souvent directement à sa fille, dans son langage d’enfant – et les conditions de vie désespérantes qui sont celles de la prison, apportent à Celle qui attend une grande densité romanesque. Ce détail dit également bien comme l’écriture est une manière de s’échapper du réel, de se convaincre que la douceur existe encore à l’extérieur. La lettre comme l’espoir que le soleil reviendra, en même temps que la vie d’avant. Un jour. Camille Zabka a manifestement effectué un vrai travail d’immersion pour parvenir à donner naissance à un texte aussi fort sur le quotidien d’une prison. Ceux qui ont vu le film Un prophète ne seront pas étonnés d’apprendre que le mitard est un haut lieu de non-droit, de vice, d’inhumanité, de saleté et d’amoralité.

Alexandre va rapidement devoir intégrer les codes de la zonzon s’il veut espérer en sortir vivant et nous le suivons jour après jour (aux contours imprécis, tant le temps est flou derrière les barreaux) aux côtés de ses compagnons d’infortune et ennemis du moment. A mesure que les semaines passent – et que l’horizon de la sortie semble s’éloigner chaque jour un peu plus – le personnage qui sombre peu à peu va devoir également affronter les démons de son propre passé. Quelques éléments dans ses lettres nous donnent à penser qu’Alexandre n’est pas un homme très sûr de lui, mais plutôt un individu torturé à l’histoire difficile.

Son passé remonte, ainsi que son histoire d’amour avec Pénélope  (prénom prédestiné à l’attente sans fin !) et l’arrivée de la petite Pamina à qui est dédié ce roman. Le lecteur découvre peu à peu le lien singulier qui unit ces trois individus. Les lettres permettent aussi de dire ce qui n’ose être dit à l’oral. J’aurais aimé que le récit insiste davantage sur cette histoire d’amour étonnante, qu’il fasse plus qu’ébaucher la question des classes sociales qu’il aborde trop brièvement – notamment dans la scène du repas de famille chez les parents de Pénélope. J’ai également eu du mal à me faire au rythme du texte des lettres d’Alexandre, sa ponctuation et sa syntaxe anarchiques mais j’imagine que cela doit avoir une explication.

Malgré ses menus défauts, ce premier roman est réussi : Camille Zabka signe avec ce texte un récit tout en retenue et délicatesse, qui aurait mérité un peu plus d’épaisseur lyrique mais qui saura toucher les lecteurs par sa sincérité, la tendresse et l’empathie qui filent cette histoire de famille pas comme les autres.

Émouvant ! 

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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