De beaux moments (2015) – Jim

Merveille

Oui, cette BD est un véritable petit miracle. C’est bien simple, dès les premières planches, j’avais déjà les larmes aux yeux. Poésie des images, lyrisme retenu des petites phrases : pas de doute, Jim sait parler à notre cœur. De quels « beaux moments » parle le titre ? De tous ceux qui nous font vibrer, qui nous font nous sentir vivants, ces instants qu’on thésaurise pour les jours moins lumineux et qui répondent à la citation de Diastème placée en exergue :

Ensuite, je range l’image dans ma mémoire, dans un dossier spécial pour les souvenirs jolis, et je me prépare aux saisons sans.

L’auteur commence par une considération toute bête : ses enfants ont grandi. Le fait que son fils porte le même prénom que le mien (Ulysse) n’est sans doute pas étranger à l’activation de ma corde sensible… Il parle si bien du temps qui passe, de la fugacité de l’enfance, du regard que les autres portent sur nous, de notre rapport à notre image, des réseaux sociaux aussi, de la vitrine que l’on offre aux autres et qui n’est pas toujours le reflet de la réalité. Par petits chapitres joliment titrés, le dessinateur capture des historiettes profondes et légères qui disent si bien notre vie comme elle va. Cette BD m’a bouleversée par la justesse de son propos, par la poésie de ses dessins, par la qualité de son écriture :

Toujours tu calqueras sur celle qu’elle est aujourd’hui les heures passées tous les deux entre ces quatre murs… Son parfum, sa sueur, le chant absolument assourdissant des cigales dans la chaleur de l’après-midi, le rythme de leur cymbalisation, tous les efforts du mâle pour attirer la femelle, et la femelle qui cède, et toi qui cèdes à celle qui cède. Est-ce de l’avoir tant regardée, pendant et après l’amour, que ton regard porte aujourd’hui encore la trace de cette première semaine passée ici ? Comme si tu avais écrit sur du papier à lettres et que les mots avaient laissé une trace sur les pages à venir…

Il est question d’amour, bien sûr, de connaissance de l’autre, de famille, d’amis, de confidences sous les étoiles, de mémoire et de souvenirs, mais aussi de tous les petits travers qui font chacun de nous des êtres uniques. Jim parvient à capter cette insoutenable légèreté de l’être avec une élégance et une empathie renversantes. Un seul conseil : lisez-la, puis parlez-en, offrez-la à n’importe qui : une œuvre qui ne saurait laisser personne indifférent tant elle nous parle de l’être humain, dans toute sa fragilité bouleversante.

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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