Disparaître (2020) – Mathieu Menegaux

Tout sauf l’amour

Les productions de Mathieu Menegaux semblent suivre une pente descendante : un premier roman brillant (Je me suis tue, que j’avais d’ailleurs encensé), un deuxième pas trop mal, un troisième pas terrible et un dernier tout simplement loupé de bout en bout.

Pire que loupé d’ailleurs : insultant pour le lecteur. Je pourrais me retenir de démolir ce roman s’il présentait au moins quelques qualités et si l’auteur faisait preuve d’humilité : mais ne constatant ni l’un ni l’autre, allons-y pour le développement. De quoi ça parle ? De deux récits parallèles et bâclés, puis joints au forceps pour les besoins du dénouement.

À Paris, une jeune femme est retrouvée morte au pied de son immeuble. Près de Nice, un cadavre est retrouvé échoué, entièrement rasé et les empreintes digitales effacées. Qui sont ces deux personnes ? Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que ces deux affaires sont liées. Et le lecteur va devoir faire déployer de singuliers efforts de crédulité pour croire à cette histoire aberrante au style indigent, dénuée de toute espèce de sentiment.

On passe du coq à l’âne et rencontrons ensuite Étienne, cadre supérieur imbu et imbuvable, caricature du CSP+ parisien arrogant et plein de morgue, à la tête d’une banque internationale, qui ne se déplace qu’en taxi et est marié à une certaine Ariane depuis toujours.

L’auteur nous livre ses réflexions clichées à mort sur le couple longue durée, sur la force du lien malgré les années. Poncifs enfilés comme des perles sur des personnages qui insupportables (lui), qui vides (elle). Aucune caractérisation, pas la moindre once de subtilité psychologique, pas de cœur, pas d’âme, on sent que l’auteur a voulu aller vite et se débarrasser de ce projet romanesque comme de son dénouement.

A la différence de ses autres romans, Mathieu Menegaux ne prend pas le temps de fouiller les intériorités et règle cette affaire en alignant des remarques attendues et éculées. Cet insupportable et froid cadre bancaire, bouffé par sa carrière, rongé par sa crainte de ne pas être promu selon son mérite, dévoré par un emploi du temps qui ne lui laisse aucun répit (mais qu’il aime, en bon masochiste) (les descriptions de son quotidien bullshit et fier de l’être sont infernales) va un jour croiser la route d’Esther, une stagiaire provinciale (que l’auteur cherche à faire passer pour un pur produit de la méritocratie républicaine sans qu’on comprenne pourquoi d’ailleurs) qui va lui taper dans l’œil (et ailleurs).

En deux coups de cuillère à pot et quelques paragraphes beaucoup trop rapides et pas crédibles pour un sou, les deux personnages se retrouvent l’un sur l’autre. Le voilà, le fameux adultère, la fameuse passion dévastatrice (mais pas passionnée du tout). On ignore ce que chacun trouve à l’autre (alors, si : elle l’admire parce qu’il se la joue, parce que c’est le chef, parce qu’il l’écoute (?), mais aucun passage ne décrit cette complicité naissante, ces rapprochements délicats). Quelques pages plus loin, le type nous confie qu’il est amoureux (ah ?), sauf qu’il ne présente aucun symptôme de l’amour (à croire que l’auteur ne se souvient pas de ce qui se passe à ce moment-là).

Le problème, c’est qu’on n’y croit pas un seul instant, tout est encore une fois affreusement cliché et impersonnel (le mec emmène forcément la fille en 5 à 7 au Shangri-la, au Ritz, au Meurice, sans qu’aucun passage ne décrive ces luxueuses incartades clandestines, quel dommage!), survolé, sans aucun intérêt pour le lecteur qui ne saurait trouver le moindre écho personnel dans ce livre qui ne l’est absolument pas.

Comme l’histoire d’amour n’est pas crédible une seconde, n’est pas crédible non plus la vague de culpabilité (bâclée elle aussi) qui submerge (soit disant) Étienne. Mathieu Menegaux considère sans doute qu’écrire que le personnage est inquiet et se sent coupable suffit à convaincre le lecteur. Désolée, mais il en faut davantage quand on prétend s’attaquer un thème aussi complexe que celui de l’adultère. Le personnage passe d’ailleurs d’un état à un autre avec une facilité déconcertante.

Le lundi, il est amoureux (à hurler de rire quand on voit comment il aime), le lendemain, il se dit « bon, allez, assez rigolé, finies les conneries, je l’aime mais c’est pas le tout, il faut reprendre ses esprits », le surlendemain, il décide de la quitter. Je résume en exagérant un peu mais franchement à peine.

On ne croit pas non plus à cette histoire parallèle de cadavre échoué à Saint-Jean Cap Ferrat. Mathieu Menegaux n’a clairement jamais mis les pieds dans la région qu’il décrit, ce qui malheureusement se ressent. Encore une fois, tout est truffé de poncifs et de facilité, ça transpire le manque de travail sérieux, la traitement à la va-vite.

Dans ce roman, les flics de la Côte ont le quotidien des Experts Miami, le maire de Saint-Jean n’est qu’un gros véreux désireux d’étouffer cette affaire, il y a du sable entre Nice et Monaco… Bref, rien d’intéressant sous le soleil. Un petit feuilletage de Nice-matin pendant la rédaction n’aurait pas été du luxe. Le flic désobéit à la juge pour mener son enquête (so original !), enquête qui se résume à éplucher les listings Air France Flying Blue jusqu’à miracle, tomber sur le nom du cadavre anonyme.

Enfin, alors que j’achevais cette lecture dans la douleur, je me demandais si Mathieu Menegaux oserait un dénouement aussi capillotracté, grotesque et invraisemblable que celui que je subodorais… La réponse est malheureusement oui. Même le décès de la nana, qui aurait pu donner à ce roman inutile une petite teinte tragique, se vautre dans un grotesque et un pathétique à pleurer (de rire).

L’auteur aurait pu donner de l’envergure dramatique à son récit, le sauver du naufrage par un dénouement véritablement lyrique : eh bien non, Mathieu Menegaux n’aime pas assez ses personnages pour leur offrir une mort digne. Il préfère leur offrir une mort à la con.

Pour celui qui avait peut-être pour ambition de faire un thriller à la sauce Crime et châtiment, c’est plus que raté. C’est une insulte même à ce genre et à la littérature en général. Que ce genre de texte bâclé au possible, dénué de toute originalité, vraisemblance, générosité, empathie, sincérité, puisse trouver preneur chez un éditeur, voilà qui me laisse songeuse. Éditeur qui se paie même le dédain de laisser filer des fautes de français et des coquilles dans ces pages (seule marque de spontanéité de ce roman). Crime et châtiment, mais surtout grosse punition pour le lecteur qui n’avait pourtant rien demandé.

Si c’était pour nous livrer ce genre d’absurdité littéraire, Mathieu Menegaux aurait mieux fait de continuer à produire des PowerPoint.

Affligeant.

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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