Jouir (2019) – Sarak Barmak

Clito-sceptique

J’émerge plus que circonspecte de cet essai au titre provocateur et volontiers revendicatif, signé Sarah Barmak, une universitaire canadienne officiant à Toronto.

Je lui reproche beaucoup de choses : un tour d’horizon par trop superficiel (et beaucoup trop américain) des pratiques autour de l’orgasme féminin ; les reproches réguliers faits à l’hétéronormativité des dites pratiques ; le relais de pensées discutables de la part de certaines figures considérées comme des néo gourous (notamment celles de la quasi secte OneTaste) ; une tendance à vouloir passer d’un déséquilibre à un autre (de la suprématie de la jouissance masculine à celle de la jouissance féminine) ; enfin, mais ce n’est pas la faute de l’auteur : cette exécrable habitude de l’écriture inclusive et du point médian, propre aux éditions de la Découverte et à sa collection « disruptive » et féministe, Zones (ici présente).

On trouvera dans ce livre (sous-titré en quête de l’orgasme féminin) de quoi durablement halluciner. De quoi écarquiller les mirettes durant sa lecture. Qu’il s’agisse du Vulvatron (énorme char en forme de vulve- sois pas réac !) ) sis au festival Burning man ; de méditation orgasmique durant ce dernier (spectacle totalement décadent durant lequel une femme jouit en live, caressée par un homme ganté de latex, devant une foule mi-excitée, mi-embarrassée (on le serait à moins) chauffée à blanc par des télévangélistes-like ; de fumigations de yoni (soit l’exposition de la vulve à des vapeurs censées la guérir de ses maux) ou d’ateliers de masturbation de groupe à Toronto…

Tout, tout, tout vous saurez tout sur le clito (quelques rappels salutaires en tous cas). Non, vous saurez surtout tout sur ce qui est en vogue actuellement chez les Yankees pour faire hurler les femmes d’extase–et rétablir (prétendument) l’égalité sexuelle. Entre deux considérations sur comment les pauvres femmes sont les grandes oubliées du coït, comment les transgenres souffrent de ne pas être correctement considérés sexuellement (et d’être méchamment appelés parfois chicks with dicks ou shemale.. On ne voit pourtant pas le problème ? ) et sur le fait que le porno nuit gravement aux jeunes et à une saine découverte de la sexualité, Sarah Barmak s’égare et perd de vue ce qui aurait dû conduire et parachever son enquête : à quoi pourraient donc servir nos 8000 terminaisons nerveuses clitoridiennes ? Parce que si c’est juste pour se gaver d’orgasmes (sic), quel intérêt ? Si c’est pour se regarder non plus le nombril, mais l’entrejambe… What’s the point (G)?

Sarah Barmak lance des pistes, ouvre des réflexions (comme : la sexualité des hommes aussi est mystérieuse – sans blague ?) mais ne les approfondit guère, comme cette idée qu’un bon équilibre sexuel est une des clefs fondamentales du bien-être humain (pas révolutionnaire mais juste) ou que jouir pleinement rend les femmes plus créatives (trop brève mention d’Edith Wharton).

Enfonçage de portes ouvertes mais rappel aussi que certains chakras sexuels une fois dûment débloqués peuvent changer la vie de certain(e)s. L’interprétation des mystiques extrême-orientales (comme le tantrisme) par les Américains, c’est un peu comme leur relecture de l’Antiquité occidentale au cinéma : un gloubiboulga simpliste à la sauce hollywoodienne qui ne fait émerger que ce qui les arrange (ou ce qu’ils ont compris, c’est à dire pas grand chose en général).

Les pseudo-sectes autour de l’orgasme féminin qui s’inspirent de pratiques ancestrales font d’ailleurs bondir les vrais spécialistes. Enfin, mieux vaut en rire. Sarah Barmak se fait l’écho d’un féminisme pro sexe qui, à certains moments, je le dis tout de go, m’a écœurée. Non que je sois puritaine (loin s’en faut) mais j’estime que certaines pratiques doivent demeurer dans le secret des alcôves, au risque de les vider de leur substance, d’en dénaturer le cœur, d’en faire perdre le sel. Les approches relayées et les témoignages sont bien trop souvent cliniques ou source de spectacle, et cela m’a fait bondir à plusieurs reprises.

Finis l’intimité, les délices de la luxure vécus à deux, les chuchotements, la subtilité, les mystères, la poésie.. Ici, on partage tout, on parle cru et on se branle à plusieurs, on raconte tout en mode Alcooliques Anonymes… Pour moi, l’inverse de ce qu’est la sexualité, cet absolu vécu à deux. Cela m’a rappelé une citation de Barthes qui disait dans L’Empire des signes :

Au Japon, la sexualité est dans le sexe et non ailleurs ; aux États-Unis, c’est le contraire : le sexe est partout, sauf dans la sexualité.

L’essai de Sarah Barmak semble malheureusement expliquer à quel point l’orgasme féminin est devenu un business (juteux pour certaines structures sous leurs dehors philanthropiques), au sein de l’éternelle société du spectacle qu’est notre époque. Ce livre se voudrait optimiste et galvanisant, mais son obsession tyrannique, hystérique, autour d’un orgasme féminin qui compte se passer des hommes (ou les utilise simplement comme des outils pour y accéder) m’a beaucoup dérangée.

On passe d’une injustice à une autre, et c’est ce qui est problématique dans cette vision qui, malgré elle, promeut une nouvelle inégalité sexuelle. Il aurait été passionnant de plonger dans les mystiques sensuelles de l’Inde ou du Japon, en les comparant à celles qui ont cours aujourd’hui, afin de pouvoir s’en inspirer réellement, avec pertinence. La Femme doit en effet renouer avec le caractère sacré de son sexe, savoir appréhender et jouer (une lettre de différence avec jouir) de sa puissance cachée pour la sublimer, la transcender (par l’art, l’engagement dans la cité, la spiritualité…).

Jouir pour jouir, pour faire montre de sa domination, égoïstement, n’a strictement aucun sens. Navrée, Sarah, mais ton essai ne m’aura vraiment, mais vraiment pas fait grimper aux rideaux.

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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