La femme de papier (1989) – Françoise Rey

Sade, âme & gonades

Voilà. J’ai fait un sort au grand classique de la littérature érotique (le mot est pourtant faible ici) tricolore. Soit La femme de papier qui révéla en 1989 Françoise Rey, et fit d’elle la référence du genre.

Dans ce texte très ouvertement autobiographique, l’écrivain raconte sa liaison (ô combien) sulfureuse, transgressive et torride avec un homme qui déclenche chez elle une véritable tempête dans [sa] culotte. Elle dit en être si amoureuse, si prête à tout qu’elle va accepter de se plier aux jeux les plus humiliants et les plus immondes qui soient.

Tout avilissement est bon pour satisfaire cet amant fou-gueux qui n’hésite pas à la soumettre brutalement à ses désirs les plus pervers. Mais, à la différence de Cinquante nuances de Grey, la narratrice est loin (très loin) d’être une oie blanche. Elle est au contraire une sorte de féministe de l’extrême qui ne cache pas son goût pour la soumission, l’abjection, la saleté. Qui décide autant que lui. C’est aussi elle, ici, qui mène la danse.

Elle est cette femme de papier qui tient les rênes de son récit, en est le démiurge et le possède. Elle maîtrise les malheurs de sa vertu et, après tout, c’est son choix le plus entier, sa liberté. Divisé en courts chapitres comme autant de saynètes pornographiques plus ou moins hallucinantes, le livre n’est clairement pas à mettre entre toutes les mains.

Je me serais bien passée de certaines scènes qui ne renient pas leur héritage sadien (la narratrice dit d’ailleurs à son amant qu’elle veut être sa Justine) et repousse les limites de l’insoutenable. Je souhaiterais si possible effacer à tout jamais de mon esprit la scène scatologique, celle zoophile et celle du transgenre qui m’ont donné une affreuse nausée. Le genre de truc qui « désexcite » immédiatement.

On ne peut que reconnaître que Françoise Rey jouit d’une grande palette lexicale quant au sexe et à ses différentes modalités. Souvent très cru, le vocabulaire sait toutefois se faire chatoyant, inspirant, original. J’ai trouvé certaines scènes particulièrement jubilatoires et notamment celle du feutre noir sur les parties du corps ou du pinceau chatouilleur (bien trouvé). L’homme dira d’ailleurs qu’il veut faire de sa maîtresse un dictionnaire de l’amour (et qu’il veut baiser la femme de papier à coups de crayon).

Le récit dévoile toute une réflexion sur le sexe en tant qu’acte créatif, sur la sensualité comme point de départ de l’écriture que j’ai trouvées très bien vues (Françoise Rey dit qu’elle doit sa naissance d’écrivain à cet homme et à leur folle histoire pornographique et impossible). L’édition que je possède a également été augmentée d’une confession de l’auteur qui tourne autour de l’idée du diable et de sa queue, une entité surnaturelle dont elle aurait entraperçu plusieurs fois les contours, dès ses jeunes années.

Elle file le champ lexical de manière assez drôle (enfant, elle entend dire qu’unetelle a des cornes, que cette famille tire le diable par la queue, qu’un autre a le diable au corps etc.) Vision et expressions qui l’auraient ensuite vouée aux gém..issements coupables. Toutefois, je n’ai pu m’attacher véritablement au personnage féminin pour la bonne et simple raison qu’elle dit bien dès le début que le duo se refuse au sentiment et à l’amour. Ils font du sexe pour du sexe, point barre. Du cul, du cul, du cul (et rien d’autre).

Des limites qu’on outrepasse en hurlant (de joie et/ou de douleur), et où la femme se mue en martyre volontaire se laissant posséder corps et âme par l’homme. Bien qu’excitant par moments et assez admirable par sa volubilité sexuelle, ce récit demeure quand même plutôt malsain et assez dérangeant (ce qui fonde peut-être sa réussite) et on ne peut également s’empêcher de ressentir une certaine lassitude in fine face à la redondance des pénétrations brutales, situations de domination/soumission ad nauseam etc.

Pour filer la métaphore démoniaque, je dirais : ça manque un peu de cœur, que diable !

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

Rester en contact

Restez informé·e !
Chaque semaine, retrouvez mes coups de cœur du moment, trouvailles, rencontres et hasards littéraires qui offrent un supplément d'âme au quotidien !