L’enfant brûlé (1948) – Stig Dagerman

Like a motherless son

Si Marguerite Duras et le cinéma du danois Thomas Vinterberg s’étaient rencontrés sur une page, sans doute cela aurait-il donné « L’enfant brûlé » de Stig Dagerman, paru en Suède en 1948, six ans avant le suicide de l’auteur à 31 ans.

Un huis-clos familial qui réussit le tour de force d’être tour à tour angoissant, asphyxiant, tendre et émouvant, et qui nous narre une année dans la vie de Bengt, garçon de 20 ans qui a perdu sa mère.

Le roman s’ouvre sur les funérailles de cette dernière, Alma (mater !), qui réunit des gens qui ne l’appréciaient pourtant guère. On sent que l’histoire va tourner autour des faux-semblants, des non-dits, de l’hypocrisie des conventions sociales. Mais aussi de la filiation, du désir, de la transgression puisque « L’enfant brûlé » est avant tout un roman d’apprentissage et d’émancipation d’un jeune homme qui cherche à survivre à l’abrasion de l’absence maternelle et à grandir malgré elle.

Nous sentons dès les premières pages une tension, une sorte de rage froide qui oppose silencieusement et mystérieusement père et fils. Au fil de la lecture, on se croirait bien souvent au sein du dîner explosif de « Festen ».

Le lecteur rencontre un carré de personnages : Knut, le père, Bengt, le fils, Gun, la nouvelle compagne du père et Bérit, la fiancée de Bengt. Tous les quatre vont devoir s’apprivoiser et apprivoiser le vide laissé par Alma, notamment durant un séjour ensemble sur une île quasi déserte par des froids polaires.

Stig Dagerman joue beaucoup sur les silences, les colères rentrées, les réactions brutales, les symboles éloquents (la robe rouge, la bougie..). La rivalité père/fils, entre désir de la même femme et culpabilité face à la muette omniprésence de la mère, est très finement rendue, sans que soient expliqués certains comportements ou visions (les embardées « oedipiennes » et la confusion des personnages (Gun devenant la mère).

J’ai apprécié que les personnages soient imparfaits, parfois pénibles (Bérit pleure tout le temps), voire cruels. Bengt en est le plus éclatant exemple qui va jusqu’à tuer un chien pour affirmer et affermir sa haine de soi, voire pour s’infliger un rite initiatique de passage à l’âge adulte. Les insertions de lettres qu’il adresse à lui-même (sur conseil de feue sa mère) constituent également un dispositif romanesque très intéressant qui permet de sortir du huis-clos.

J’ai été littéralement hypnotisée par ce texte, par son ambiance à la fois inquiétante et chaleureuse selon les instants, avec cette façon d’être dans cesse « sur le fil » sans savoir de quel côté le scénario va basculer. Les propos et les caractères sont très inattendus, les messages sécrétés par « L’enfant brûlé » tout à fait originaux : l’obsession de la « pureté » de Bengt, s’asseoir pour s’écrire longuement quand on est triste, s’abîmer dans la calme contemplation de la beauté du monde, pardonner pour grandir (ou l’inverse)… Autant de « leçons » d’un texte grandiose qui marque pourtant par sa pudeur et son humilité.

Avec une économie de moyens magistrale, un style clinique et un scénario réduit au strict minimum, Stig Dagerman accouche d’un texte à la puissance de feu insoupçonnée, qui infuse l’imaginaire, la réflexion et les sensations du lecteur comme peu d’œuvres littéraires.

D’une densité psychologique virtuose, « L’enfant brûlé » est gorgé d’une sensibilité singulière et d’un surprenant suspense, qui nous entraînent loin dans les fjords glacés de Suède à la rencontre d’une famille en larmes qui a du mal à s’avouer ses sentiments, à se dire son amour. Et qui s’achève sur une bouleversante ode à la vie et à l’espérance.

Nous ne sommes pas heureux mais nous jouissons d’une paix provisoire. Il y a un instant nous voyions le désert de notre vie dans toute son effroyable étendue. Maintenant nous voyons le désert fleurir. Les oasis ne sont pas rapprochées mais elles existent. Nous savons que le désert est grand. Mais nous savons aussi que c’est dans les plus grands déserts que les oasis sont les plus nombreuses. (…) Mais le instants de paix sont brefs. Tous les autres sont beaucoup plus longs. La sagesse est aussi de savoir cela. Mais parce qu’ils sont brefs, il nous faut vivre ces instants comme si nous ne devions vivre que ceux-là.

 

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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