Les âges de la vie (1984) – Christiane Singer

O tempora, o mores

La moitié de notre existence est taillée dans la même obsidienne sombre et précieuse : le séjour intra-utérin, les nuits quotidiennes et la mort. (…) La matrice d’ombre qui, la nuit, me reprend pour me lâcher à l’aube me restitue celle autrefois où je passai neuf mois de ma vie.

Comment vous dire la révélation merveilleuse de ce livre, d’autant plus intense qu’il a dérivé vers moi par hasard, à la faveur d’un coup d’oeil distrait dans le bac à livres de la médiathèque. Chaque livre est décidément une rencontre qui a quelque chose d’important à nous dire.

Comme j’aurais aimé entendre Christiane Singer parler de notre époque, elle qui dans cet essai de 1984, prophétise déjà tant de notre présent… Comme l’indique le titre, il s’agit d’embrasser, en 204 pages fulgurantes au style poétique qui m’a parfois fait penser à Gracq, tous les âges de la vie et leurs enseignements particuliers.

De cette nuit de la femme au cœur de laquelle grandit chaque être, à l’enfance curieuse et jusqu’à la haute vieillesse, siège de tous les plus absurdes préjugés, Christiane Singer porte loin son regard et son enseignement. Pour celle qui connaît sur le bout des doigts les magies des philosophies et mystiques du monde entier, chaque âge possède ses secrets mystères à lever, chaque moment est (et doit être) pause et émerveillement.

Un livre qui est un hymne à la liberté, au calme autant qu’à l’audace du regard qui ose tout, à l’amour universel et à la tolérance nécessaire, salutaire, à chaque étape de l’existence. Un essai puissant et délicat, qui en quelques phrases, déshabille les a priori et enjoins à la jouissance, à la tendresse et à l’indulgence.

Émaillant ses pages des nutriments de ses lectures, la romancière brosse également un tableau sans concessions des idées reçues et des douleurs d’une société malade de ses jeunes autant que de ses aînés.

Ode joyeuse et douce aux inévitables métamorphoses de l’humain, profonde réflexion sur le temps et les ressources inimaginables de l’esprit, Les âges de la vie a l’intelligence de se terminer sur une question comme une invitation à poursuivre à notre tour le tissage du texte … Magistral.

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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