Magnus (2005) – Sylvie Germain

Grâce et dénuement

Voilà donc à quoi se réduit une vie, un corps qui fut si ardemment en marche, bruissant de paroles, de rires, de cris, mû par d’innombrables projets, d’insatiables désirs : une poignée de cendres blêmes solubles dans le vent.

Pour pasticher une célèbre citation, »si l’on me pressais de dire pourquoi j’aimais la littérature, je sens que cela ne se pourrait exprimer qu’en répondant : parce que ce genre de livre. »

Les yeux encore mouillés de larmes (l’appel esseulé des aimés à la fin m’a tuée), je vais tout de même tenter d’exprimer le choc que constitue la lecture de « Magnus » de Sylvie Germain.

Disons-le d’entrée sans une nanoseconde d’hésitation : le Goncourt des lycéens 2005 est un chef d’œuvre chimiquement pur.

L’alliance inexplicable d’une voix venue des confins de l’oublieuse mémoire, une voix enveloppante, sage et tendre comme une main pressée à l’instant de la peur, une voix qui vous remplit le cœur et l’esprit sans pesanteur aucune. Une voix nourricière au service du destin passionnant d’un être ballotté par la houle de l’Histoire et du hasard.

Sylvie Germain nous raconte la vie de Magnus, sa filiation inconnue, ses bribes de souvenirs sous les bombes à Hambourg, son enfance auprès de parents qui se révèlent n’être pas les siens, ses prénoms multiples au gré des virages de son existence qui s’écrira entre Londres, Amérique du Sud, New York, Vienne puis enfin le Morvan français.

Perpétuellement poursuivi par les échos de son passé, le héros se verra longtemps comme « le rejeton d’un bourreau doublé d’un lâche et d’une criminelle par complicité, sottise et vanité. » Un roman sur la culpabilité qui nous dit comment tenir debout sur les cendres de notre histoire (présumée).

Malgré des trouées de bonheur, la vie de Magnus ne se départira jamais de son poids de mélancolie et de mystère. Magnus est cet homme qui a « en lui de l’ours et du bélier », ours qui est le fil rouge de cette histoire et l’unique vestige rescapé de son identité première. La douceur, la sensibilité de Sylvie Germain, son attention permanente aux détails lestent d’un poids de renoncule et de diamant chaque instant de ce récit immense, filé d’une sagesse immémoriale qui ne peut qu’émouvoir profondément le lecteur.

Un roman qui est aussi une somptueuse réflexion sur les livres qui nous parlent (de nous) comme personne, nous construisent, sur le conte, les histoires qu’on (se) fait, les récits que l’on nous passe et qui nous font. Un livre à la forme unique, intercalé de fragments, de poèmes (Celan, Supervielle, Saint John Perse), d’extraits de romans qui constituent une singulière chambre d’échos littéraires d’une grande richesse. Je ne pouvais aimer davantage ce roman.

« La légende est au rebut, et toute joie consommée. (…) le temps des fables est révolu. »

Magnus perd, souffre, revient, traverse une transe colorée (qui m’a rappelé « Blast » de Larcenet), rebondit, renoue des liens anciens (Peggy, les Stalhmaker), car ce roman est celui des métamorphose récurrentes, des masques que l’Homme revêt au fil de sa vie et comment il se réinvente pour tenir tête avec courage aux cruautés du sort. Mais malgré nos visages et prénoms mouvants, nous demeurons des êtres uniques aussi vrai que « le regard, comme la voix, est une signature infalsifiable ».

Un roman sur la perte de l’innocence, la langue, l’identité, « l’entrecroisement des ressemblances », l’amour et les liens qui demeurent, la solitude et l’abandon, et *in fine* le sens de la vie, la sagesse qu’il est possible de retirer de ses allées et venues ici-bas si l’on accepte de se détacher du matériel pour communier spirituellement avec le vivant.

« Rien ne se perd, tout se transforme » dit l’adage, et la mort de Frère Jean, embaumé au propolis par ses abeilles adorées, est particulièrement éloquente à cet égard. Redevenue poussière, âme communiant avec le cosmos auquel elle a toujours appartenu.

Magnus.. Dei.

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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