Momo (1973) – Michael Ende

Une fabuleuse histoire du temps

– Et qu’est-ce qu’une heure céleste ? demanda Momo.

– Eh bien, ce sont des moments tout à fait exceptionnels au cours de la vie où chaque chose et chaque être, jusqu’aux étoiles les plus éloignées, s’entendent mystérieusement. Cela peut donner lieu à des événements uniques et mystérieux, eux aussi. Hélas ! Les êtres humains ne savent pas saisir ces moments rares et, le plus souvent, les heures célestes passent inaperçues. Mais si quelqu’un les reconnaît, il se passe alors des choses importantes dans le monde.

Quelques années avant d’écrire le roman qui allait le rendre mondialement célèbre (l’inoubliable « histoire sans fin »), Michael Ende avait accouché de ce petit conte tendance dystopique, « Momo », qu’on affilie classiquement à la littérature « jeunesse ».

C’est pourtant à moi, femme de 38 ans, que mon (très avisé) frère a conseillé de lire ce petit roman dont le titre et la couverture (immonde) m’avaient induite en erreur : il ne s’agissait en effet nullement de l’histoire d’un petit maghrébin mais de celle d’une petite orpheline mystérieuse à qui il va arriver bien des choses.

Momo vit dans les ruines d’un ancien amphithéâtre où la rejoignent de nombreux enfants et amis fidèles avec lesquels elle passe des heures à jouer à inventer des aventures. La petite fille a une qualité rare : elle sait écouter les gens, les lire comme personne, il est impossible de lui mentir. Son attention est très recherchée, y compris des adultes tourmentés qui la remercient en subvenant à ses besoins (mobilier, nourriture). Michael Ende semble apprécier les figures d’enfants pétris d’une sagesse qui échappe aux « grands » (on pense à l’impératrice ou à Atreyu dans « L’histoire sans fin »). Ses deux meilleurs amis sont Beppo, un vieux balayeur de rue et Gigi, un conteur hors pair.

Tous mènent une vie joyeuse, insouciante et heureuse, ce qui ne va pas tarder à déplaire à la horde des « hommes en gris », appartenant à la « caisse d’épargne du temps ». C’est là que le conte prend une teinte dystopique avec l’arrivée de cet élément perturbateur : d’étranges individus surgissent auprès des tranquilles habitants pour exiger qu’ils « épargnent » le plus de temps possible et cessent de le perdre dans des activités jugées « inutiles », comme bavarder, jouer, passer du temps avec des êtres chers. Tout ce qui n’est pas travail, rendement optimal et profit maximal doit être éliminé. Les additions comptables qu’ils étalent devant les personnages sont vertigineuses : comment ne pas vouloir « économiser » des millions de secondes de vie ? Peu à peu, les hommes cèdent et plient à ces hommes en gris. Ils étaient gais, ils deviennent alors pressés et déprimés, n’ont plus le goût des autres et de l’existence. Momo se retrouve tout seule. Elle est une menace pour le système car elle ne travaille pas et est pétrie d’humanité et de sensibilité, qualités à éliminer de ce monde.

– Tu sais, Momo, il n’y a rien d’aussi dangereux dans la vie que les fantasmes qui deviennent réalité. Je n’ai plus de quoi rêver.

Je ne dévoilerai pas les ressorts de l’intrigue qui ne manque pas de rebondissements. Momo va devoir faire preuve de courage pour affronter la horde ennemie mais, dans ces pérégrinations initiatiques, elle pourra compter sur plusieurs adjuvants : une tortue magique qui sait prévoir l’avenir et un vieil homme, sorte de mage vivant dans la « ruelle de nulle part », Maître Hora, qui lui livrera les clefs pour libérer les hommes de la terrible pression des hommes en gris et du temps qui les écrase.

Momo comprenait à présent que posséder certaines richesses sans pouvoir les partager avec d’autres peut vous faire mourir.

J’ai pensé à la fois à « Alice au pays des merveilles » et au « Petit Prince » pour ces portes qui s’ouvrent soudain au sein du monde connu et débouchent sur un espace parallèle ; mais également pour les leçons à tirer de ce conte aux accents philosophiques qui traite du temps (qu’est-il vraiment ?), de la solitude, de l’amitié, de la gloire, de la soumission à l’ordre, du rêve, de la force comme de la fragilité des êtres, qui ne sont pas forcément où on les croirait..

Un peu simpliste, peut-être, mais charmant !

Tout homme a au-dedans de lui un sanctuaire du temps, un sanctuaire en or, et c’est son cœur.

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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