Thérèse de Lisieux… Sainte (2023) – Véronique Gay-Crosier

« Seul l’amour m’attire »

« Croyez-moi, n’attendez jamais au lendemain pour commencer à devenir une grande sainte. »

J’ai toujours connu son visage, ma mère vouant un véritable culte à cette âme pas comme les autres depuis toujours. A l’occasion du 150ème anniversaire de sa naissance en 2023, les éditions Artège publient un livre de plus de 300 pages sur le destin hors du commun de Thérèse Martin, plus connue sous le nom de Sainte-Thérèse de Lisieux ou Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, de la Sainte Face.

Celle qui grandit dans une famille extrêmement pieuse, et dont les sœurs, toutes, lui servirent de modèle absolu avant de prendre l’habit, eut un destin à la hauteur de ses aspirations. Convaincue que nous sommes « étroitement imbriqués avec les Saints du Ciel », elle n’aura de cesse de chercher à indiquer la marche à suivre et à prendre sur ses épaules tous les péchés des âmes en peine.

Sainte Thérèse fit voler en éclats « la classique frontière entre le profane et le sacré » marqua à jamais de son empreinte singulière l’Eglise catholique. « Pétulante, passionnée, avec du caractère », admiratrice des figures héroïques et des récits chevaleresques nationaux qu’elle dévore, elle comprend très tôt que son ardent désir de sainteté lui demandera des efforts immenses et qu’elle devra apprendre à aller contre ses propres penchants. Jusqu’à devoir adorer la souffrance puisque celle-ci lui vient de Jésus, dont elle se dit « la petite fleur » jusqu’à la « fusion ».

Son journal (elle écrivait énormément) est un précieux documentaire qui rend compte de ses goûts, de ses doutes, de ses déchirements, de ses « brandons d’agir », dans lequel elle confie que le « martyre » était son « rêve de jeunesse »:

« C’est ainsi qu’en lisant les récits des actions patriotiques des grandes héroïnes françaises, en particulier celles de la Vénérable JEANNE D’ARC, j’avais un grand désir de les imiter, il me semblait en moi la même ardeur dont elles étaient animées, la même aspiration Céleste. »

L’essai richement documenté que consacre Véronique Gay-Crosier à ce fascinant destin est remarquable à plus d’un titre, en ce qu’il nous fait entrer dans les détails de « l’histoire de cette âme » qui appelait à « ne s’attacher à rien » sur la terre. Bien sûr, le récit pourra sembler fastidieux et un peu répétitif à ceux qui ne sont pas très familiers des termes, concepts et préceptes catholiques et évangéliques (j’en suis) mais les pages restent gorgées d’une sagesse rare où chacun pourra venir s’abreuver à sa guise. Sainte Thérèse professe souvent l’humilité extrême, insistant toujours sur sa propre petitesse, qui la rend incapable de toute vanité.

« Vainquez-vous vous-même » semble être l’une des devises de Thérèse qui n’eut de cesse de lutter contre les facilités du bonheur, cherchant toujours la difficulté, le versant le plus âpre de l’existence.

« Je sentis naître en mon cœur un grand désir de souffrance (…) la souffrance devint mon attrait, elle avait des charmes qui me ravissaient sans les bien connaître. »

Le livre sur cette courte vie (elle meurt à 24 ans) s’organise chronologiquement en trois parties : 1) L’enfance, l’adolescence et le postulat 2) Noviciat 3) Les derniers mois, avec des balises et des jalons marquants pour le destin mystique de Thérèse comme « la grâce de Noël » du 25 décembre 1886 (elle a alors 13 ans et parle de sa « complète conversion »), l’entrée de ses sœurs au Carmel et sa propre bataille, qui l’amènera jusqu’au Vatican devant le Pape, pour pouvoir y entrer bien avant l’âge requis. Orpheline de mère à 3 ans, Thérèse trouvera en ses sœurs « une deuxième mère » et vouera un culte à son « petit Père chéri » dont elle est la « petite reine » et qu’elle considère comme le plus saint qu’elle connaisse. Il est son inspiration première en religion.

« Je ne connais pas d’autre moyen pour arriver à la perfection que l’amour… »

Bien que parfois un peu perplexe face à cette destinée dont je ne saisis pas tous les enjeux théologiques, j’ai particulièrement goûté toutefois certaines de ses réflexions, comme celles qu’elle a sur le Ciel :

 » Tout élevait nos âmes vers le Ciel, le beau Ciel dont nous ne contemplions encore que » l’envers limpide ».

Un essai qui a aussi la vertu de nous rappeler les vertus théologales : la charité, l’espérance et la foi. Et Thérèse d’exhorter les âmes à suivre sa voie, en ces termes :

« Qu’elles fassent donc ce que j’ai fait : un grand effort. Le Bon Dieu ne refuse jamais cette première grâce qui donne le courage d’agir ; après cela le cœur se fortifie et l’on va de victoire en victoire. »

La difficulté pour le profane, c’est d’accepter de comprendre que la douleur est la voie à rechercher, à désirer pour atteindre l’éveil spirituel et la sainteté, quand tout en nous nous pousse à la fuir pour quêter les plaisirs. C’est tout un renversement de paradigme qui est à envisager… Une vision qui rejoint le principe selon lequel les justes sont les premiers éprouvés, que « les derniers seront les premiers », aussi.

« Il lui en coûte de nous abreuver de tristesses mais il sait que c’est l’unique moyen de nous préparer à » le connaître comme il se connaît et à devenir des Dieux nous-mêmes. (…) Lorsqu’on aime une chose, la peine disparaît. »

Peu à peu, au fil des années, Thérèse s’aguerrit, s’endurcit, s’assèche- son journal porte la trace de cette parole qui devient « dure et virile », comme un signe de sa mutation, de sa métamorphose spirituelle.

« Crois et tu comprendras ; la foi précède, l’intelligence suit » (Saint Augustin) semble une idée qui revient souvent sous la plume et dans l’esprit de Thérèse qui nous conduit aussi à « accepter l’humiliation de ne pas être aussi bien que l’on aimerait tout en faisant du mieux que l’on peut. »

Destin hors normes et âme unique en son genre, Sainte Thérèse nous ouvre les portes d’une compréhension spirituelle supérieure en la rendant accessible à notre entendement autant qu’à notre sensibilité.
Et nous montre que la sainteté est essentiellement affaire de volonté, d’amour de la souffrance et d’humilité.
Que la vraie patrie de l’Homme est au ciel. Que plus l’on souffre, plus l’on est aimé de Jésus. Enfin, que la sainteté n’est pas affaire de surhumanité mais qu’elle est accessible à quiconque s’en donne l’effort suffisant, dans l’amour absolu de Dieu.

Un mois et demi avant de mourir de la tuberculose à l’âge de 24 ans, elle écrit :

« Si le bon Dieu exauce mes désirs, mon Ciel se passera sur la terre jusqu’à la fin du monde. Oui, je veux passer mon Ciel à faire du bien sur la terre. »

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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