Behind closed doors (2016) – B.A Paris

Amazing Grace

La trentaine passée, et bientôt en charge de sa jeune sœur adorée trisomique 21 (la formidable Millie), Grace Harrington désespère un peu de trouver l’homme qui lui conviendra et acceptera sa situation peu commune.

C’est sans compter sur l’irruption de Jack Angel, un beau jour de concert en plein air à Londres. Cet avocat de renom au physique ravageur et aux manières de gentleman, approche d’abord Millie en la faisant valser, pour son plus grand bonheur, sous le regard ému de sa sœur. Cette dernière qui, bien vite, succombe aux charmes et aux avances de cet homme providentiel, généreux et tendre qui semble tombé du ciel. Jack pousse la perfection jusqu’à promettre à Grace qu’une fois mariés et installés dans la somptueuse maison qu’il va lui offrir pour l’occasion, Millie sera la bienvenue pour vivre avec eux. Tout semble « trop beau pour être vrai », pourtant les voilà mariés et dans l’avion pour Bangkok.

Mais, à peine ont-ils atterri en Thaïlande pour leur voyage de noces que le conte de fées se brise sur le mur de la réalité et qu’apparaît le vrai visage de ce beau gosse manipulateur qui n’a hélas d’ange que le nom.

Le lecteur entre in medias res dans le récit cauchemardesque de la descente aux enfers de Grace par une scène de dîner mondain chez eux, avec des amis du couple « modèle ». On ne peut qu’immédiatement sentir que quelque chose cloche, le malaise et le self-control tendu de Grace sont palpables, les réactions sont étranges, les regards scrutateurs, les gestes sonnent faux mais tout le talent de la romancière est de savoir nous distiller les indices au compte-gouttes.. Le roman alterne entre « past » et « present », ce qui donne beaucoup de ressort et d’épaisseur à la narration, tout en instaurant un suspense croissant quant à ce que vit réellement Grace.

Il serait très regrettable de ma part de « divulgâcher » les nœuds de cette intrigue brillante, haletante qui font de « Behind closed doors » un thriller impossible à lâcher une fois démarré. J’ai vécu avec les personnages pendant 4 jours, pensant au calvaire de Grace quasiment 24/7, ralentissant volontairement ma lecture pour en retarder la fin. J’ai eu la chance de le lire en version originale, ce qui fut une extase supplémentaire pour l’amatrice de langue anglaise que je suis. Encore qu’ici le style soit totalement secondaire : l’écriture est exclusivement au service de l’action, d’un suspense à couper le souffle, de la description des rouages psychologiques (d’une grande finesse) et du paysage mental de l’héroïne, douloureusement mise à l’épreuve.

Bien sûr, ayant moi aussi eu un frère trisomique, je ne pouvais que m’identifier totalement à Grace, dans un mouvement de compassion à chaque ligne. J’ai particulièrement goûté le personnage de Millie, tellement attachante en lectrice d’Agatha Christie, si lucide sur le vrai visage du mari de sa sœur, et qui va offrir à sa sœur une porte de sortie inespérée. Je retenais mon souffle à chaque chapitre, consciente du compte à rebours de son arrivée chez Jack et Grace. Que ne ferait-on pour protéger ceux que l’on aime ! Et comme parfois l’aide émane de ceux que nous n’aurions pas soupçonnés !

Le lecteur s’arrache les cheveux en temps réel afin d’imaginer comment la jeune femme va réussir à se tirer de ce guêpier, alors que tout semble perdu d’avance. Nous sommes avec Grace dans sa chambre vide, luttant et souffrant avec elle sans cesse, accablés d’impuissance et aux aguets… Quelle réussite dans l’installation de la tension ! Que de batailles menées qui semblent vaines jusqu’aux dernière pages…

Les passages où Grace doit affronter de sang-froid et sans ciller le cercle d’amis sont extrêmement réussis, et le lecteur se prend à scruter, en apnée, le moindre battement de cils, le moindre échange de regards qui s’attarde…

Ce thriller m’a totalement scotchée, me rappelant les meilleurs œuvres du genre, à la fois littéraires et cinématographiques : j’ai évidemment pensé aux « Apparences » de Gillian Flynn (superbement adapté par David Fincher dans « Gone girl » – je rêverais d’ailleurs qu’il s’attaque à celui-ci) mais aussi au suspense du film « Les nuits avec mon ennemi » avec Julia Roberts en femme battue.

Le portrait de Jack est également très bien vu, et l’on imagine de quelles manipulations d’orfèvre sont capables les êtres à qui l’on donnerait (en apparence) le bon dieu sans confession, ces pervers qui vont jusqu’à prendre le masque d’un défenseur de la cause des femmes : comment un tel individu pourrait-il être un monstre ? La romancière montre très bien que nul n’y voit que du feu… Sauf une, Esther, la nouvelle amie, que l’on rencontre dès les premières pages et qui semble la seule à ne pas « acheter » ce tableau sans faille du couple parfait. La fin, un peu abrupte, est très réussie en vérité, car elle réussit à tout dire en une seule question (« What color was Millie’s room, Grace? ») et nous offre un dénouement on ne peut plus féministe, dans le meilleur sens du terme.

Bref, « Behind closed doors » de B.A Paris est un thriller magistral avec une héroïne puissante qui (comme on dit de nos jours) « ne lâche rien » par amour pour sa sœur, offrant une tension constante de bout en bout qui ne redescend jamais, un handsome psychopathic husband qui cache on ne peut mieux son jeu et des adjuvants très inattendus : just the perfect page-turner I needed !

Bring on the others!

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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