Perfect imperfection
« Celui qui n’a besoin de rien, tout lui manque. Misère de l’homme qui se suffit, de l’esprit comblé de lui-même. Toute la valeur de l’homme est dans sa recherche, son appel, son désir. » (Marie Noël)
C’est un bien joli et doux essai que publie Alexia Vidot (dont j’avais déjà tant aimé le précédent livre sur les destins de convertis) aux éditions Artège (que j’admire beaucoup).
La rédactrice en chef du magazine » La Vie » propose ici une vaste réflexion sur le caractère imparfait de l’humain qui aspire au fond, pourtant, à la transcendance et à suivre l’exemple des saints. À l’appui de nombreux penseurs, prophètes et paroles de saints (Saint Paul, Bernanos, Sainte Thérèse de Lisieux, Marie Noël…) la journaliste va creuser la question de l’imperfection chez l’Homme, en en faisant non pas son talon d’Achille mais bien la condition sine qua non de l’entrée de Dieu dans sa vie. Seuls le vide, la soif, la faim peuvent être comblés et seul Dieu peut remplir ce tonneau des Danaïdes.
Ni ange ni bête, l’homme est un entre-deux- de ciel et de terre.
Le texte est également un vivifiant appel à l’effort, à l’action, à l’absence de résignation face à notre sort de créatures imparfaites et pécheresses. Nous pouvons nous hisser hors de ces souffrances en nous remettant à la Grâce divine, avec humilité et constance. Notre humanité, notre nom d’Homme, est à ce prix.
Si nous voulons conquérir notre humanité, c’est à dire devenir des hommes et des femmes au sens plein du terme, nous ne pouvons pas nous complaire dans nos médiocrités ou nous y résigner paresseusement. Mais que faire alors de nos limites ?
Ce qu’est vraiment un saint (qui n’est pas un surhomme), la possibilité en tout homme d’en être via l’Église, l’aveuglement de l’amour-propre, les mensonges que l’on se conte à soi-même, les sécurités et les certitudes confortables mais fallacieuses, la sincérité véritable du cœur, la lucidité sur le mal en nous, la nature « glaiseuse, fangeuse, boueuse » des terriens regardant vers le Ciel : voilà entre autres les questions et les thèmes soulevés par Alexia Vidot, avec un remarquable sens de la synthèse et de la formule.
« En fait d’imperfections, nous sommes des aigles sur celles d’autrui, et des taupes sur les nôtres » (François de Sales)
Alexia Vidot rappelle que les Pères de l’Église étaient convaincus de la « bonté originelle de la nature humaine », mais Dieu, pour pénétrer l’âme et le cœur humains, a besoin d’une brèche, d’une entaille, « d’une ouverture, d’une faille ». C’est dans notre fragilité que se révèle notre potentiel, notre puissance spirituelle. « Cheminer vers la ressemblance » croissante avec Dieu, qui nous a faits à son image, devrait être l’objectif de tout être humain, objectif toujours en devenir.
Car l’Homme n’est pas, l’Homme est à faire. Nous sommes des commencements d’homme, dit Saint Jacques. Nous sommes des ébauches d’homme. Dieu ne crée pas l’homme tout à fait, Dieu a horreur du tout fait. Dieu crée l’homme capable de se créer lui-même.
Ce texte m’a souvent fait penser à la célèbre formule « Aide-toi, le ciel t’aidera » que nombre de catholiques ont entendu maintes fois dans leur vie. L’Homme n’est pas cette créature passive attendant la Grâce qui lui tombera dessus par la volonté divine mais un co-créateur de son propre salut. Le chemin ne sera pas forcément pavé de pétales de rose, loin de là.
Dans la dernière partie de son essai, Alexia Vidot revient longuement sur le destin, la pensée et la sensibilité de la poétesse et mystique Marie Noël (qui m’a rappelé que je n’avais toujours pas lu son livre « des chansons et des heures »). Marie Noël qui incarne la tension vers la sainteté avec toute son humanité imparfaite, ses errements touchants de créature humaine se débattant dans ses contradictions :
« Mais j’étais bien incapable de n’aimer que Dieu seul. J’avais toutes les vocations à la fois : vie religieuse, mariage, maternité, et par-dessus tout : poésie. Au fond, je n’en avais qu’une : l’amour ! »
Mais c’est bien la démarche, le pas l’un après l’autre, le chemin qui compte, malgré les chutes, les hésitations et les revirements. Homme vacillant, trébuchant, perdu, tant physiquement que spirituellement, il demeure pourtant une main tendue pour toi. Ton imperfection active d’aujourd’hui est ta perfection éclatante de demain.
« Marche en ma présence et sois parfait. »
Encore un très bel essai, sensible, enthousiasmant et galvanisant, signé Alexia Vidot- toujours aussi inspirée pédagogiquement !