Fortunes de France
Quatre-vingts pages étincelantes de grâce, de culture et d’intelligence, voilà en quelques mots comment je pourrais résumer l’essai signé Bruno Henri-Rousseau, issu de la famille du fameux « Douanier » et ancien administrateur de la Villa Ephrussi (où j’ai l’honneur de travailler depuis quelques mois).
Bien plus qu’une tentative de circonscrire la singularité de la beauté de l’esprit français (à l’appui de la culture grecque), « La culture de la beauté » se révèle au fil des pages un véritable programme politique en faveur de la renaissance française, tel que pourraient en rêver tous les déçus et dégoûtés de la politicaillerie tricolore.
La beauté est d’abord une joie. Elle est aussi une élévation. Elle est même une nécessité pour l’âme.
Car Bruno Henri-Rousseau est un patriote lettré qui sait faire vibrer la corde sensible de notre attachement à notre terre, en tant que Français enraciné (notamment en Vendée, terre de la « race rebelle » célébrée par le Puy du Fou). Tandis qu’on nous ennuie et nous endort avec des motions de censure, des budgets abscons et autres magouilles politichiennes à dégoûter le plus convaincu du système, l’ancien St-Cyrien nous parle, lui, de Beauté, de Nature, d’Harmonie, de la noblesse de la paysannerie, de la splendeur de nos paysages, de notre histoire glorieuse, de nos grandes figures, du prestige dont la France rayonnait de par le monde (et à juste titre !) jusqu’à encore une période récente.
Le propos de Bruno Henri-Rousseau, qui veut témoigner d’une « relation toujours entretenue avec les fleurs antiques », est traversé d’un amour sincère et d’un espoir fou, sentiments bien peu de saison actuellement et pourtant si indispensables pour penser (ou panser ?) l’avenir de notre pays. La tonalité est gaulliste, souverainiste, chauvine, amoureuse : c’est tout ce que les Français ont besoin d’entendre, que ce réenchantement poétique de leur patrie.
Le peu de réaction devant l’enlaidissement de la France est proprement sidérant.
Au fil de différents chapitres tous plus lyriques et élégants les uns que les autres, l’auteur aborde les notions d’urbanisation (« ère de la laideur » de la modernité en architecture), de « progrès », d’inspiration artistique et d’élévation spirituelle, au fond, de l’âme de la France, que l’on peut admirer et respirer dans ses églises et au cœur de ses campagnes. Le texte est tissé d’une riche culture littéraire et philosophique, délivrée sans affèterie mais toujours avec beaucoup d’à-propos. Ainsi de cette merveilleuse formule de Boileau, quintessence de l’esprit français (avec La Fontaine, sans doute) :
Soyez simple avec art / Sublime sans orgueil / Agréable sans fard
Dans un souffle antimoderne infiniment réjouissant, Bruno Henri-Rousseau évoque les splendeurs laissées par le christianisme, cœur battant de la France, les paraboles somptueuses qui tentent d’approcher les mystères de la vie, le célèbre « ora et labora » (prie et travaille) qui fut longtemps l’ADN des travailleurs de la terre de France, mais aussi la « continuité historique et esthétique » mise à mal par la modernité. La réussite de ce (trop) bref essai, c’est d’ouvrir de nombreuses pistes de réflexion en quelques pages, comme cette évocation de la multiplication des musées qui, de prime abord, pourrait sembler positive mais entraîne en réalité la France sur une pente ludique, très éloignée de la contemplation, nécessaire à la perception de la beauté.
Nous sommes passés du « recueillement au loisir », en vertu d’un « tout-culturel » et d’un affaissement complet des hiérarchies esthétiques qui m’ont rappelée la thèse intéressante d’Alain Finkielkraut dans La défaite de la pensée. Non, contrairement à ce que Ben Vautier claironnait « Tout n’est pas art », loin s’en faut et fort heureusement, car si tout est beau, alors plus rien ne l’est. Il faut absolument retrouver la notion d’échelle dans la beauté, pour lui redonner pleinement son sens. Retrouver également une certaine lenteur, le sens du silence et de l’attention favorables à la contemplation et à l’éveil à la beauté – autant de notions de plus en plus étrangères aux humains actuels.
Toute la force de cet essai réside dans son anachronisme si réjouissant, dans cette réflexion à rebours du « progressisme » ambiant et qui fait signe vers la célèbre phrase de Nietzsche qui disait que « l’Homme qui a le plus long avenir est celui qui a la plus longue mémoire ». Las, l’actualité culturelle ne nous sert qu’un « néant absolu valorisé par le Ministère de la Culture », qu’une grotesque américanisation de notre culture. Il n’est qu’à songer aux créations de Jeff Koons à Versailles, au (soi-disant) sapin vert signé Paul McCarthy place Vendôme en 2014 ou, plus récemment, au « ILoveNice » d’Estrosi ou à la banane scotchée de Maurizio Cattelan (vendue pour la bagatelle de 6,2M€) pour s’en convaincre.
La France doit puiser dans sa magnifique Histoire pour renaître et « réconcilier l’époque moderne avec le sens de l’harmonie » car :
Que pourrait-on admirer sans 2000 ans de christianisme et ses broderies de calvaires, de chapelles et de cathédrales ? (…) Ces ornements sont la corne d’abondance d’une culture de la beauté.
Bruno Henri-Rousseau propose également de lancer de vastes chantiers de restauration, qui pourraient intéresser la jeunesse qui a « besoin de causes à défendre », a soif d’idéal et de projet collectif pour faire nation. Car en effet, « l’intelligence n’a de fécondité que grâce à ce vers quoi elle regarde ». Aussi pourrions-nous, avec une véritable volonté politique, faire patrie commune, vivre (vraiment) ensemble, tournés dans la même direction, ainsi que les bâtisseurs de cathédrale des temps anciens.
Je n’ai eu de cesse de souligner, enthousiasmée et totalement acquise à ces causes chauvines, de nombreux passages d’une grande puissance et beauté, Bruno Henri-Rousseau maîtrisant un français classique, stylé et brillant, qui donne toute son élégance et son panache à son propos.
Comme disait Hugo, « la forme, c’est le fond qui remonte à la surface » : aussi peut-on aisément penser que ce bref texte est issu d’une belle âme, de celles qu’on aimerait enfin voir en France aux responsabilités.
Magnifique.