La vérité sur la lumière (2020) – Audur Ava Olafsdottir

Ébloui par la nuit

Personne ne sait exactement ce qu’est la lumière : on peut la mesurer mais pas la comprendre.

L’histoire compte assez peu, en vérité : seules l’extrême poésie et la sagesse proverbiale de la voix qui nous parle importent ici.

Les deux premières pages annoncent la couleur en offrant un splendide développement sur le mot « sage-femme », mot préféré des Islandais, dont l’étymologie chez eux signifie « mère de la lumière ». Partout dans le monde, le mot désigne « une femme d’âge mûr qui pourrait être la grand-mère maternelle de l’enfant ». Évidemment, la petite-fille de sage-femme que je suis ne pouvait que se sentir concernée par cette entrée en matière.

L’héroïne du texte, Dyja, appartient à une longue lignée de sages-femmes, ses parents ont une entreprise de pompes funèbres et sa sœur est météorologue : trois thèmes (la vie, la mort et le climat) au cœur de ce roman d’Audur Ava Olafsdottir (dont j’avais déjà tant aimé les précédents).

C’est donc une longue tradition familiale que de s’occuper de l’être humain aussi bien au tout début de sa vie que lorsqu’il arrive à sa destination finale

Figure tutélaire de l’histoire, la grand-tante des sœurs, Fifa, sage-femme disparue mais qui a laissé derrière elle une ébauche d’œuvre littéraire et existentielle considérable. Dyja occupe désormais son appartement (dans une sorte d’incorporation inconsciente puisqu’elle dort même dans son lit, dans ce décor vieillot auquel elle n’a rien changé), sa tante lui a comme passé le flambeau, l’ayant chargée à demi-mot de continuer son œuvre à sa suite.

« Nous ne savons pas grand-chose, si ce n’est que bientôt, la nuit va s’abattre » était l’une de (très nombreuses) citations qu’aimait proférer cette grand-tante dont le roman est en creux le fascinant portrait, plein de sagesse, de bon sens, de philosophie et de poésie. Et elle ne croyait pas si bien dire, elle qui mit en garde bien avant l’heure, telle une Cassandre, des maux dont souffrirait la planète.

Fonte des glaces, déforestation, disparition des abeilles (qui « sonnera le glas de l’être humain »), fin de l’eau potable, stérilité du vivant liée aux composants chimiques, misères des zoos, extinction de masse, envahissement du plastique… Elle avait tout vu, tout envisagé dans ses essais inachevés consacrés à la « Vie animale ». Ses descendantes devront passer le message, d’autant que le récit est dès le départ marqué par la sourde menace d’une tempête d’une puissance inédite qui va balayer l’île.

Tout porte à croire que l’être humain sera l’espèce la plus éphémère que la terre ait porté.

Le roman est une charge virulente contre la destruction qui menace l’humanité si elle ne prend pas enfin la bonne voie, si elle continue de « sacrifier les espèces sur l’autel de sa cupidité ». Mais il est aussi un vaste questionnement métaphysique et existentiel qui interroge la naissance, l’instinct maternel, le désir d’enfant.

Aussi curieux que cela puisse paraître, bon nombre de sages-femmes n’ont pas d’enfant. C’était le cas de la tante Fifa, c’est le cas de Dyja, même si elle dira avoir failli devenir mère. Le livre est aussi une ode aux rencontres hasardeuses, comme celle que la narratrice fait du touriste australien venu « ruminer » sa mélancolie dans l’appartement au-dessus du sien.

« L’homme mûrit plus lentement que les autres bêtes » écrivait la grand-tante dans un de ses cahiers, soulignant sa fragilité, l’immense vulnérabilité du nouveau-né humain, en comparaison des autres mammifères.

« Puisses-tu connaître bien des aubes et des crépuscule » était la phrase humaniste avec laquelle Fifa accueillait les nourrissons qu’elle accouchait, et cela constitue un bien désirable programme.

« Au centre du trou noir luit la lumière » : cette phrase résonne avec un éclat particulier dans ce livre qui questionne le mystère de la naissance, les ténèbres que l’on doit quitter pour voir le jour, venir au monde, conquérir la lumière. Cela m’a rappelé « Les âges de la vie » de Christiane Singer et « l’obsidienne » de la nuit fœtale.

« Profitons-en avant que le soleil s’éteigne », lisons les Pensées de Pascal, Borges, vivons pleinement notre vie de luciole, admirons les étoiles et les peintures de la Vierge à l’enfant, soyons courageux, écrivons et aimons avant qu’il ne soit trop tard : telle semble être la leçon de tante Fifa.

Trop court à mon goût, somptueux dans son propos.

Réveillée en sursaut, j’allume la lampe de chevet. Je sors du lit, j’attrape dans la bibliothèque un recueil de poésie en quête d’un horizon. L’homme a associé tant de choses à cette ligne lointaine : des bateaux, le soleil, l’étranger, la distance, la révolution, le pain, le temps, le doute, la justice, la vérité, une île, la souffrance, le courage.

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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