La vie matérielle (1987) – Marguerite Duras

Effeuiller la Marguerite

En somme, pour des raisons diverses la honte recouvre toute ma vie.

Sa voix, avant tout, qui nous arrime à la page. Cette manière à la fois tendre et brutale qu’elle a d’écrire. Clinique et pourtant et extrêmement sensible. Je ne sais pas comment elle parvient à cette alchimie mais le lecteur est immédiatement avec elle, ému, intéressé, étrangement rassuré par cette femme pourtant si petrie de doutes et douleurs. Dans cette œuvre inqualifiable littérairement, elle ne s’épargne guère et nous dit tout de sa tragédie alcoolique, de ses cures à l’hôpital pour tenter d’en sortir, de se livres, de ce qu’est pour elle l’écriture. De son lien si particulier et si fort avec Yann Andrea.

Plusieurs fois, j’ai eu le sentiment que le livre s’adressait à moi, dans ce qu’elle dit de sa mère, de ses frères, de l’argent. Je ne partage pas forcément sa partition des rôles plutôt dévolus aux hommes ou aux femmes, trop simpliste. De la même manière que m’ont un peu ennuyée le compte-rendu de ses visions délirantes qui la laissent en pleurs et si démunie.

Elle dit que l’alcool est un truc d’intellectuels, que cela vient combler l’absence de dieu et console du vide et des tourments, pour un temps. Sa réflexion est acerbe, percutante, radicale, assortie d’une lucidité absolue sur soi, livrée avec sincérité et courage. J’aime ce qu’elle dit sur les amants que l’on retrouve dans le sommeil, sur l’identité du sentiment, sur la folie maternelle, sur l’écriture vitale et en même temps qui dévore.

Autant de tableaux thématiques passionnants, où il est question de la préhension de soi via l’écriture, de la gestion de la maison, du travail douloureux, difficile que cela représente, de Neauphle, de Bonnard, de Racine, de la passion sensuelle qu’inspirent les romanciers, de la parole écrite, de cinéma, d’Hanoï, d’Alain Veinstein…

Toute une vie et une tentative de la ramasser dans différents tableaux réflexifs bouleversants. Un précipité de Duras. Quel bonheur, quel privilège, quel honneur pour le lecteur que d’être le destinataire de ces pensées formulées avec à la fois tant de clarté et de mystère…

La patte Duras, sa voix reconnaissable entre toutes, la pertinence de ses remarques qui vous hantent.

Merci à Deborah Levy d’avoir parlé de ce livre dans le sien, reconnaissance éternelle !

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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