Le Rêve (1888) – Émile Zola

Marquise de l’ange

Voilà donc que je referme, à 34 ans, mon tout premier Zola et quelle découverte ! 212 pages délicieuses, secrétant une clarté divine qui s’appuie sur un style d’une grande beauté formelle, qui m’a rappelé un autre grand du XIXème cher à mon cœur, Maupassant.

À l’instar d’Andrée Hacquebaut dans Les Jeunes Filles de Montherlant, je retrouve beaucoup de moi dans l’Angélique de Zola. Les rêves nés des lectures (annonçant l’Emma de Flaubert), les croyances spirituelles et surnaturelles, une fascination pour l’absolu, la quête d’un amour éperdu pour lequel on donnerait sa vie… Tout cela a fait grandement écho à mes (anciennes) préoccupations intimes.

Le Rêve apparaît comme à part dans l’œuvre zolienne, mais on y retrouve les grandes thématiques qui la sous-tendent toute : la solitude de la destinée, les rapports de classe, la condition ouvrière laborieuse (ici, une famille de brodeurs).

Tout commence ici comme un conte et celui sera initiatique et mystique : le lecteur débarque in medias res sur le seuil d’une cathédrale où une orpheline de 9 ans tremble de froid. C’est Angélique, petite blonde aux yeux violets et au prénom déjà prédestiné à la grâce. Elle est vite recueillie par un couple de braves gens, Hubert et Hubertine (ça ne s’invente pas), qui ont perdu un jour un enfant et ne s’en sont jamais remis. Ils élèvent Angélique comme leur fille, dans une foi catholique telle qu’on ne peut l’imaginer aujourd’hui, et l’enfant devient une jeune fille pure, vertueuse, aux doigts de fée, qui brode même l’or nué (que j’ai découvert à cette lecture).

Angélique qui va bientôt faire la rencontre de Félicien, rencontre qui commence par un chassé-croisé nocturne du plus romantique effet… Qui est ce jeune homme ? La jolie brodeuse ne va pas tarder à le découvrir. Zola ne lésine pas sur les détails et les descriptions très spécifiques liés au métier de brodeur et le lecteur du XXIème siècle se retrouve catapulté dans un univers à l’étrangeté séduisante, d’un exotisme fort pittoresque, richement documenté.

Comme bon nombre d’écrivains réalistes, Zola excelle dans les descriptions toujours fort détaillées, qui font une impression sensible sur le lecteur, comme si le paysage était un personnage doué de caractère et qui n’ennuie jamais (les passages sur la cathédrale sont notamment admirables). Je ne veux pas entrer dans les mille thèmes foisonnants de ce récit qui méritera de nouvelles lectures, mais disons qu’il s’agira pour l’héroïne de se frotter à son rêve, de savoir si elle est prête à se prêter à lui et que ses principes, sa haute morale seront mise à rude épreuve, qu’il lui faudra le secours spirituel de tous ses guides pour tenir bon sur son chemin de croix.

Il sera aussi question des gouffres qui séparent les classes sociales, de leur étanche cloisonnement (Hubertine dira à Angélique qu’une petite couturière ne pourra jamais épouser le fils d’un évêque), de l’Amour mis à l’épreuve comme au temps de la fin’amor, de mémoire involontaire (Zola avant Proust ! Quand Angélique respire les violettes qui la calment sur-le-champ comme rien d’autre, mystérieusement… n’a-t-on pas là une annonce de la future madeleine?). Zola devait également savoir que l’odorat est la plus ancienne des mémoires du corps… Modernité du XXème !

Le dénouement quasi-surnaturel, presque fantastique, de ce roman parachève son mystère et sa densité pleine d’intensité… Angélique et son rêve enfin là, réalisé, sous ses yeux, n’a plus qu’à s’échapper, comme par magie ou miracle. Un final qui m’a enfin rappelé la chanson de Jacqueline Dulac qui disait qu’on devrait mourir lorsqu’on est heureux..

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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