Proies (2023) – Andrée A. Michaud

Dans les bois éternels

Que Fred Vargas m’autorise à emprunter le titre de l’un de ses romans pour intituler ma critique de « Proies », l’excellent dernier-né d’Andrée Michaud, romancière québécoise dont j’avais déjà adoré « Bondrée » en 2017.

C’est qu’ici encore, la forêt, les sombres bois sont un personnage à part entière, qui bruisse de mille rumeurs, mystères et périls.

À Rivière-Brûlée, au Canada, trois adolescents de 16 ans (Abigail, Alexandre et Judy) décident d’aller camper quelques jours dans la forêt voisine. D’entrée, nous savons qu’un drame s’est déroulé puisque le livre s’ouvre sur la phrase suivante :

Le mardi 18 août d’une année dont on se souviendrait plus tard comme une année de deuil et de stupéfaction…

D’un ressort romanesque classique dans l’univers du polar (les ennuis d’un groupe de gamins aux prises avec une menace trouble) (je ne voudrais pas divulgâcher) Andrée Michaud réussit à faire un texte original, au scénario dense et ciselé qui réserve des rebondissements (qui m’ont tiré des larmes) jusqu’aux dernières pages. La québécoise n’a également pas son pareil pour brosser un tableau vivant, généreux et plein d’aspérités de la vie d’un village et de ses habitants. Effroi, solidarité, compassion, violence, désir, vengeance, espoir : toutes les humeurs et émotions humaines vont tout à tour déferler sur les protagonistes de cette histoire. Le récit alterne brillamment les passages traitant du quotidien en forêt (de plus en plus inquiétant) des ados et celui de leurs parents et amis qui s’occupent des événements au village, en parallèle. Les personnages sont très savamment caractérisés (le flic un peu mou du nom de Chouinard, Gilbert Lavoie le père sanguin, Shooter le pauvre gars en plein conflit de loyauté…) et le récit nous agrippe et nous embarque dans sa danse haletante, pleine de bruit et de fureur.

La style d’Andrée Michaud est également particulièrement léché, ce qui confère à l’ensemble une qualité littéraire assez peu commune dans ce genre romanesque. Le lecteur français se réjouira de découvrir des expressions et us typiquement québécois qui fusent quasiment à chaque page. Une approche pittoresque qui rend le roman infiniment vrai, généreux et attachant, rempli de « crisse », de « triple épais », de « joualvert », de « gomme d’épinette », de « câlisse », « hostie » et autres « rôties ».

Sans parler de la capacité de l’auteur à installer une atmosphère subtilement menaçante et quasi-surnaturelle, pleine d’histoires qui font frémir, d’apparitions, de créatures tapies et de bruits étranges.

Un drame se noue donc, dont il faudrait ne rien dire sinon que tout le village va être en alerte car les ados ne reviennent pas en temps voulu. Une course contre la montre s’engage alors, à la fois pour retrouver les jeunes et pour mettre la main (au collet) du coupable de leur « retard ». La romancière ne nous lâche pas, nous promenant d’une battue à un nouvel événement perturbateur, tout en distillant l’attente et le suspense, soulignant superbement « l’infinie tristesse des pères aux mains inutiles ».

Rapidement, le lecteur connaît l’identité du fauteur de trouble et, en ce qui me concerne, ça m’a un peu gâché « la fête » car je préfère la découvrir à la fin. Mais Andrée Michaud utilise justement le profil de son assassin pour dire des choses sur la vie d’un village où tout le monde se connaît, s’observe, se juge…

330 pages qui m’ont emmenée très loin, m’ont émue aux larmes et ont confirmé, si besoin en était, l’immense talent d’Andrée Michaud. Vite, un autre !

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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