Nus et sans âge
Tâche jugée saugrenue, voire plutôt vaine d’ordinaire, c’est pourtant bien à la contemplation des nuages que nous convie Hubert Voignier à travers 108 pages remarquables, aériennes et virtuoses, qui relèvent à la fois du traité métaphysique, du précis météorologique et de la poétique de la rêverie chère à Bachelard.
Une rhétorique des nuages, soit donc un texte qui cherche à faire briller l’art de l’éloquence oratoire, désire convaincre et toucher. Et quel plus belle voie/x pour ce faire que celle de la poésie telle que la publie Cheyne dans sa (merveilleuse) collection Grands Fonds ? En ces temps de privations de liberté, la poésie a plus que jamais vocation à ouvrir grand les fenêtres, à ramener les regards vers le ciel, à nous donner des clefs pour foutre le camp, prendre le large.
Qui mieux qu’elle pour dire cette tentation que nous donnent les nuages de filer subrepticement, s’évader à son tour n’importe où, loin du monde, cingler vers le grand large sidéral, s’enfuir une bonne fois pour toutes et se la couler douce enfin, sauf de toutes atteintes ? « Partances », « Divagations », « Résonnances », « Trois souvenirs », « Retours de l’orage, » Théories de nuages » : six chapitres comme autant de balises d’une flânerie intellectuelle qui tente de circonscrire la plus flottante, la plus mystérieuse et la plus évasive des réalités physiques. Ou, tout du moins, de tirer quelques constats de l’expérience que l’on peut en avoir, quelques principes, qui amènent le lecteur à une pause délicatement méditative.
Porteurs de présages, abritant un peuple des nuages mythique, vecteur de tempêtes dantesques, émanations surnaturelles ou support pictural de choix pour les cielistes, multiples sont les visages des nuages. Hubert Voignier les exprime tour à tour avec une humilité, une beauté lexicale et une sagesse sensible qui font mouche. Le poète lyonnais vogue avec virtuosité sur le cours ailé de ses pensées, revient sur une question philosophique ou une réminiscence, et laisse filer d’amples phrases aériennes qui pourraient presque personnifier leur objet d’étude. Pourtant, rien de nuageux dans la prose poétique d’Hubert Voignier qui, au contraire, enjoint au dégagement, à la hauteur, à la clarté de vue, à une certaine lucidité.
L’auteur nous rappelle que si le nuage nous intrigue, nous émeut et nous trouble ainsi depuis des temps immémoriaux, c’est qu’ils incarnent la loi universelle de l’impermanence, l’éphémère passage de toutes choses. La contemplation de ces flottes légères nous ramène à notre propre finitude, à notre condition mortelle. Céleste célébration, hommage à ces pensées de l’espace et à leur dynamique nébuleuse, le texte d’Hubert Voignier nous rappelle que notre baromètre intérieur fait souvent écho au paysage qui défile sous nos fenêtres. Et qu’il est bon parfois, de se souvenir de l’insoutenable légèreté que nous partageons avec ces génies de l’air :
Les plus beaux rêves de bonheur que l’on aura caressés, au cours de l’existence, les plus douces illusions ressemblent à certaines de ces conjonctions hasardeuses, ces opportunités sublimes, ravissantes et gracieuses, qui durent l’espace d’un instant dans le ciel amnésique.