Avec toutes mes sympathies (2018) – Olivia de Lamberterie

La gloire de mon frère

J’avais anticipé l’émotion de cette lecture, je savais son thème bouleversant, je connaissais et aimais déjà son auteur, cette Olivia tant révérée depuis de nombreuses années. J’ignorais pourtant que je me retrouverais en larmes à la caisse au moment de l’acheter, critérium en main, mascara qui dégoutte sur ces pages déchirantes, tendres, drôles et dévastées.

Pourtant, non contente de nous livrer un Grand Chant d’amour fraternel, un Hymne à cet autre qu’elle adorait à la fois mélancolique et joyeux, fidèle hommage à ce frère qui enjamba la vie en octobre 2015, Olivia de Lamberterie nous donne à lire la beauté unique d’une tribu merveilleuse.

Une époque et un milieu où les enfants vouvoient leurs parents, où les sentiments se disent en silence. Une famille recomposée pleine de bruit et de fureur qui m’a tant fait penser à un film de Woody Allen. Pour celle qui dit chez nous, on souffre avec un devoir de réserve, bien lui a pris de se laisser aller à cette confidence extime à l’élégance infinie.  Quel précieux honneur pour les lecteurs d’y avoir accès.

Ce récit est un vrai patchwork, puisqu’il est aussi le portrait sans fard de son auteure et des femmes de sa vie, partant de toutes les femmes, et surtout de toutes les mères. Je lisais ces pages en entendant la voix si chic d’Olivia, son timbre châtié de fille de bonne famille et cela n’a rendu ma lecture que plus poignante.

Parce que soudain celle dont je fantasmais l’existence idéale tombe le masque (et la plume), dit ses doutes, ses peurs de toujours, ses noirs épisodes, ses choix familiaux peu conventionnels, ses difficultés à trouver sa place et sa voix. A l’imposer aussi, dans le milieu littéraire. Pour celle dont la spécialité est la critique des œuvres des autres, haute était la marche à franchir pour oser écrire à son tour. Pour se sentir légitime de le faire.

Elle était déjà pour moi un modèle – elle est désormais une légende, mais une légende humaine, au visage proche, si proche. Je ne saurais mieux dire le sentiment qui m’a étreinte après cette lecture en pleurs que : je suis fière d’appartenir au genre féminin quand je lis Olivia, après avoir lu Pauline, Mona, Adélaïde et tant d’autres. Je suis si fière d’être une femme quand je lis le talent de ces soeurs d’âme, leur sensibilité, leur intensité de femmes puissantes qui se racontent sans détour.

Malgré les tragédies, il faut voir leur force, la puissance de vie qui aussi les porte à tenir – épaulées par des hommes et d’autres femmes superbes – à tenir pour leurs enfants. A travers ce frère parti, Olivia de Lamberterie rend avec ce récit un vibrant hommage à sa mère, à ses sœurs, à sa belle-soeur désormais veuve, à ses nièces. Les hommes ne sont bien sûr pas en reste, mais il est quand même beaucoup question de ces héroïnes solides, à la puissance invaincue. Olivia a perdu Alex, ce frère inoubliable, cet irremplaçable à jamais, que l’amour des siens n’a pas suffi à arrimer ici-bas.

Toutefois, elle ne dit pas seulement l’horreur de sa mort, les abîmes de l’irréversible, et c’est en cela que ce livre est grand. Elle raconte en effet mille anecdotes et souvenirs de leur vie ensemble depuis l’enfance, pour que ce bonheur ne meure pas, pour que ses enfants se souviennent. Que demeure la lumière plutôt que l’ombre. Elle dit la pure euphorie du mariage breton d’Alexandre et Florence, l’homme grandiose et drôle qu’il fut, la perfection de ces journées d’été, de champagne et de mer cristal en famille. Les mails enthousiastes de ce frère qui aimait les points d’exclamation. Ce frère dévoré par le mal de vivre, peut-être trop sensible pour supporter ce monde terrible. Et qui choisit de le quitter un mois avant les attentats parisiens. J’ai également aimé qu’Olivia émaille ses pages d’émouvants extraits de chansons et surtout de clins d’œil et d’évocations fugaces d’œuvres lues et adorées.

Elle est forcément une lectrice traversée d’influences et d’héritages et ce livre est aussi un hommage à son goût pour les lettres des autres, l’expression d’une gratitude pour la trace qu’ils ont laissée en elle. Je pense aux dernières pages, à ce bain de mer et de cendres où, à instar d’une scène littéraire, tous les proches sont réunis, et qui est à la fois déchirante et cocasse. A l’image de ces pages qui m’ont renversée par leur sincérité, leur courage, leur humour inattendu.

A l’image de leur auteur, pétillante d’intelligence et de sensibilité, aux yeux brillants de larmes lors des récentes semaines de promotion médiatique, mais sourire invincible. J’ai songé en lisant Avec toutes mes sympathies à tous ceux qui pour ne pas sombrer après la mort d’un proche lui ont tissé un littéraire linceul. A Catherine Cusset et Thomas, à Jérôme Garcin et Olivier (cité par Olivia), à Jean-Michel et Marina. Mais aussi à John Green et ses étoiles contraires, à Ito Ogawa et son Restaurant de l’amour retrouvé, enfin au magnifique film de Denys Arcand, Les Invasions barbares. Même cadre québécois, mêmes rires entre les larmes, même scènes inoubliables qui vous font éclater en sanglots tant ils pétrissent l’argile humaine dont nous sommes tous faits. Tant que nous perdrons ceux qui nous sont chers, pourrons-nous être véritablement heureux ?

Enfin, il y a ces oiseaux, ces signes, cette violente espérance. Que de là-haut, ceux qui sont partis nous saluent, nous adressent un petit mot muet. Nous ne savons que trop bien comme l’Homme a soif de transcendance, de surnaturel ou de mystique quand frappe la tragédie, l’inexplicable. Ainsi en va-t-il de ce livre merveilleux que j’ai été si honorée de lire.

Avec toutes mes sympathies est un bouleversant cocktail d’espoir et de chagrin, de pesanteur et de grâce, servi par une plume aux tournures ravissantes et sensibles, d’une folle sincérité. Grâce au talent de la grande Olivia – Alexandre de Lamberterie, à tout jamais vivant, désormais.

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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