Bel-Ami (1885) – Guy de Maupassant

On a tous en nous quelque chose de Bel-Ami…

Comment noter un tel chef d’œuvre ? Comment défendre et critiquer un livre si célèbre ? Tout semble avoir déjà été dit, et en même temps rien, comme pour toute œuvre classique, intemporelle, à la richesse intarissable.

Je dirais donc ce qui m’a séduite, emportée, charmée, fait rire, réfléchir et émue.

La première chose, c’est incontestablement le style de Maupassant, qui ne cesse de me surprendre et de susciter ma totale admiration-bouche bée face à tant de fulgurances et de trouvailles littéraires, qui pourtant jamais ne tombent dans l’écueil des formulations ampoulées. Maupassant, c’est ce que je nommerais la pure noblesse stylistique : l’élégance couplée à la simplicité.

Ajoutons à cela un sens de l’observation humaine et sociétale d’une finesse sans égale, un humour subtilement corrosif et une galerie de personnages tellement parfaite qu’on a envie de hurler au génie à chaque page : voilà pour le tableau général. J’en veux pour preuve cette fascinante description de l’atmosphère enjouée et subtilement sensuelle, d’un dîner entre George, sa maîtresse Mme de Marelle et le couple Forestier :

Ce fut le moment des sous-entendus adroits , des voiles levés par des mots, comme on lève des jupes, le moment des ruses de langage, des audaces habiles et déguisées, de toutes les hypocrisies impudiques, de la phrase qui montre des images dévêtues avec des expressions couvertes, qui fait passer dans l’œil et dans l’esprit la vision rapide de tout ce qu’on ne peut pas dire, et permet aux gens du monde une sorte d’amour subtil et mystérieux, une sorte de contact impur des pensées par l’évocation simultanée, troublante et sensuelle comme une étreinte, de toutes les choses secrètes honteuses et désirées de l’enlacement.

Sublime, non ? J’en suis restée béate.

Le héros de l’histoire, ce Bel-Ami, c’est Georges Duroy, un type sans le sou, d’extraction paysanne, qui débarque à Paris avec, chevillée au corps, l’envie tenace de prendre sa revanche sur une société qui, pour l’instant, ne lui a rien offert.

Les poches vides mais riche d’un charme assez dévastateur – dont il va user et abuser auprès de la gent féminine – Georges va, par l’entremise d’un vieil ami journaliste, entrer à la Vie Française, un journal tenu de main de maître par l’ancêtre de Patrick Drahi, le puissant M. Walter. C’était encore une époque où journaliste était une place prestigieuse, intellectuellement et socialement, où un éditorialiste politique faisait et défaisait la réputation d’un ministre, où l’on pouvait se faire une place dans le monde par la seule grâce de sa plume.

La peinture de ce monde, de ce temps-là, m’a vraiment semblé passionnante. En bon ambitieux qui se respecte et que ne guide que le désir, insatiable, d’être riche, aimé et reconnu, George va subtilement œuvrer pour parvenir à ses fins. Et les moyens qu’il va employer, comme autant de barreaux sur l’échelle sociale, sont d’un seul ordre : les femmes. Faisant fi de toute morale ou loyauté, il va s’évertuer à séduire et conquérir, habilement, toutes celles qui sauront l’amener le plus sûrement au sommet.

Bien que personnage central du livre, Georges ne doit pas toutefois en faire oublier les femmes.

J’ai trouvé que le tableau des différentes personnalités féminines qui gravitent autour de lui était particulièrement réussi. Tendresse particulière pour Mme Walter, la quadra folle d’amour que Georges va prendre un vilain plaisir à torturer moralement et qui m’a émue par la sincérité de sa passion et de son chagrin. Je ne veux pas ici raconter l’histoire dans le détail, préférant vous en laisser découvrir les péripéties par vous-même.

Je finirais simplement en disant que la réussite absolue de Maupassant est de nous proposer un personnage lâche, menteur, arrogant, manipulateur, envieux, calculateur, voleur, mesquin, railleur, violent….et de réussir à nous le rendre attachant, de parvenir à susciter en nous de l’indulgence, une absence de sévérité ou de jugement.

Pourquoi ? Parce que Maupassant, ce génie universel, nous tend, avec son Duroy, un miroir qui, comme au théâtre, nous renvoie nos propres bassesses, nos vices, nos turpitudes, ceux communément partagés par tous les acteurs de la grande comédie humaine. Duroy est avant tout, un personnage qu’on adore détester, profondément imparfait, faillible, coupable – mais si terriblement humain…Il nous ressemble tant, finalement.

Et puis comment véritablement lui en vouloir, lors de cette hallucinante scène de fin, paroxysme de son ascension, qui nous dépeint ce personnage exultant, sous un soleil éclatant, ivre d’orgueil, avec ce sentiment ineffable d’avoir absolument tout obtenu – le regard d’une femme aimante, une vie matérielle fastueuse et un brillant avenir professionnel.

Oui, décidément, on a tous en nous quelque chose de ce malin gredin de George Duroy.

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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