Boys (2019) – Pierre Théobald

La chanson des mâles aimés

S’il l’on devait trouver une parenté littéraire entre ce livre et un autre, il serait sans aucun doute du côté du premier recueil de nouvelles publié par Anna Gavalda, Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part. Même tendresse du regard sur les protagonistes, même sens de la formule percutante, même rythme et style très contemporains – et même obsession pour la thématique amoureuse (en même temps : what else ?)

A travers sa petite vingtaine de micro-nouvelles, Pierre Théobald, ancien journaliste messin, brosse un portrait sensible et puissamment mélancolique de la psyché masculine contemporaine. A cet égard, Boys est l’anti feel-good book : il sourd de chacune des histoires racontée un drame, une tragédie, une plaie ouverte, plus ou moins lancinante. Mort d’un frère, stérilité, adultère, ruptures, papas solo.. Le lecteur se prend une grande baffe de réalité, dans tout ce qu’elle a de plus douloureux (et c’est sans parler de cette insoutenable mode du marathon…)

Chacun tente de rafistoler son existence à sa manière et il faut admettre que les hommes de ce livre ne sont guère dépourvus de ténacité et de vouloir-vivre. Ce sont aussi des hommes qui assument, pour la plupart, leur sensibilité, leur part féminine, pourrait-on dire. Des hommes très yin, que le sort n’épargne guère.

Minuscule écueil de ce livre globalement très émouvant – je n’ai fait l’impasse que sur la nouvelle du sportif, qui ne m’intéressait guère : parfois l’écriture (et certaines situations) tangue dangereusement du côté du cliché, via quelques facilités de style qui auraient sans doute pu être évitées. Tutoiement de la ligne, mais non franchissement (ouf). Une atmosphère saturée de tristesse, où l’espoir peine à se ménager quelques minces trouées.

Une fois refermé, ce recueil laisse un sentiment d’amertume et de désespoir assez vifs. Est-ce à dire que la condition des hommes d’aujourd’hui est si difficile, eux qui doivent sans cesse répondre à des injonctions contradictoires ? Pierre Théobald se garde bien de nous donner une réponse, et se contente de nous tendre cette palette assez ténébreuse – à chacun de se faire sa propre idée.

Ce livre esquisse des volutes d’instants de vie – d’ailleurs, on y fume beaucoup – les hommes y sont saisis in medias res à un carrefour de leur vie où quelque chose ne va plus, où la mécanique du cœur ou du corps s’enraye et vient pulvériser ce qui semblait acquis. Si les protagonistes, en écho au titre, sont en effet des hommes, il est bien évidemment, sans cesse, question des femmes. Partout, dans chaque nouvelle. L’homme face à la fille-événement. Celle d’une nuit, d’une heure ou d’une vie, celles qu’on aime, qu’on désire, qu’on pleure, qu’on regrette, les mamans et les putains.

En regard de cette galerie de miroirs du mâle, il y a ces mille femelles qui leur font souvent la vie dure. Les mènent en bateau, leur mentent, les trahissent, les quittent, disparaissent ou meurent. Ces femmes qui veulent tout et peuvent tout, quelle place laissent-elles aux hommes qui les accompagnent ? Comment se parler ? Comment s’aimer de nos jours ? Pierre Théobald ne parle au fond que de deux choses dans ce livre : de fragilité et d’amour, ou de la fragilité de l’amour, partant de la fragilité de toute notre existence puisque l’amour en est le (si meuble) ciment.

L’auteur déploie ses portraits avec une plume trempée dans un encrier rose et noir, à la fois sombre et romantique. Il y a chez lui, comme chez bon nombre d’entre nous, cette fascination pour l’instant de la rencontre et les illuminations des débuts, cet instant arrêté au cadran de la montre où tout n’est que fusion et évidence. Que cela dure ou non (souvent non) n’est pas l’important. Ce qui fut vécu est précieux, ce qui a été écrit est éternel. J’aime quand les hommes assument et revendiquent le versant sensible de leur personnalité – après tout, l’homme n’est-il pas une femme comme les autres ? A l’heure où le mâle doit être à la fois protecteur et libéral, solide et tendre, pudique et démonstratif, sentimental et viril..

Où se trouve la vérité masculine contemporaine ? Sans doute dans ce genre de recueils qui brasse et embrasse âges, milieux sociaux, passions, prénoms et entraîne le lecteur dans un puissant tourbillon émotionnel. 248 pages de cœurs K.O et de chaos du cœur qui ne pourra laisser aucun lecteur d’aujourd’hui indifférent. Chacun y trouvera une résonance, nous connaissons tous un Abel, un Cédric, un Alex.

A plusieurs reprises, j’ai été bouleversée (une nouvelle fois) par cette manière magique qu’a la littérature d’être une chambre d’échos de notre propre vie. (Coucou au 13 mars, à ces 3 pages autour de Julie, Alex et Léa, et cette remarque qui se demande qui de nos jours écrit encore des lettres à la main?.. On se demande !) Souvent, nous ne les croiserons qu’une fois au cours de ces microfictions. Un seul constitue un fil rouge de Boys, et il s’appelle Samuel. Le lecteur qui connaît un peu Pierre Théobald ne manquera pas de trouver des similitudes entre eux..

Avec ce personnage, l’auteur fend en quelque sorte l’armure, en plaçant son personnage dans une situation qui lui est propre et dont il ne fait pas mystère. Nous laisserons aux lecteurs le privilège de découvrir de quoi il s’agit. Comment ne pas être touché par un livre si sincère, personnel, délicatement mélancolique, qui trace si bien les contours actuels de l’air du temps, côté sentiments ? La question de la place dans le couple, dans un monde où chacun est happé par des désirs contraires, et où les rôles des uns et des autres sont bouleversés, est centrale dans ce livre.

Tout comme cette omniprésence de l’enfant, saisi dans toutes ses virtualités, et qui renvoie à des thèmes abyssaux et intemporels tels que la filiation, l’héritage, l’innocence… L’Amour, L’amour, l’amour, dont on parle toujours, et dont il est à nouveau, encore et toujours, inépuisablement question ici. Cette vingtaine de portraits tente d’en capter un début d’essence, et y parvient joliment, avec une compassion et une tendresse précieuses.

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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