Les voies parallèles (2021) – Alexis le Rossignol

Chien de la casse

Difficile de ne pas penser au film de Jean-Baptiste Durand (2023) à la lecture du roman de l’humoriste Alexis Le Rossignol, sorti chez Plon en 2021.

L’auteur y croque Saint-Savin et sa jeunesse provinciale à la fin des années 90, la France périphérique un peu sinistrée économiquement à travers un lycéen tendance anti-héros attachant du nom d’Antonin. Ce dernier aime le foot, sa bande de copains, rêve d’être populaire et d’embrasser la belle Lisa.

Le texte respire la sincérité et le vécu et quiconque a eu 16 ans à cette époque ne pourra que s’identifier aux références, modes, façons de parler et tribulations rapportées dans ce roman doux-amer qui se lit d’une traite. La séquence d’humiliation physique en EPS m’a rappelé des souvenirs, tout comme la sortie en boîte pas autorisée…

S’asseoir dans le fond, en salle de cours comme dans le bus scolaire, c’est envoyer un signal fort, c’est dire Ici, c’est nous les patronnes.

Antonin est un garçon discret mais complexé qui n’assume pas la situation sociale de ses parents. Le propos socio-culturel sur la lutte des classes est éminemment bourdieusien : les séquences de honte sociale sont légion dans ce texte, notamment lors de la confrontation avec la famille aisée de Lisa.

Il règne dans cette maison une ambiance de fatalisme absolu, où même la décoration semble avoir abandonné l’idée d’égayer les pièces.

La peinture de la France profonde dans ce roman témoigne d’une observation longue et détaillée des mœurs provinciales et l’on retrouve avec une certaine nostalgie les « topoï » de ces « territoires » : le PMU avec ses piliers de comptoir alcoolo, le club de foot et de basket, le vide-grenier, ses tragédies, ses accidents de scooter qui sont autant de séismes pour la communauté. Certains passages serrent le cœur par leur côté misérable, un peu pathétique (la vie de Gilles le cafetier, ou Johan). Certains émeuvent parce qu’elles sont attendrissantes, comme le portrait du père d’Antonin, si heureux de conduire son bus en écoutant Johnny. Ou la scène d’enterrement du copain.. Vies minuscules, souvent brisées, toujours déchirantes. Vague ennui et absence d’horizon pour de nombreuses familles qui ont subi licenciements et plans sociaux suite au démantèlement de l’usine automobile du coin. Des considérations mélancoliques, nostalgiques de « la France d’avant » qui rapprochent ce texte de ceux de Philippe Ridet, Julien Sansonnens ou encore Serge Joncour.

Quand on n’a pas la chance d’exister pour ce que l’on est, on existe pour ce que l’on donne.

Alexis le Rossignol dresse un bilan amer de la désindustrialisation locale et nationale en montrant les difficultés des habitants depuis lors, sans oublier les questions agricoles à travers une famille d’agriculteurs monstrueusement endeuillée. Avec une empathie et une tendresse omniprésentes, l’auteur embrasse les vies et les destins de cette petite ville, croque des portraits émouvants, raconte la vie comme elle allait (pas toujours bien). Mais « Les voies parallèles » sont surtout un touchant roman d’apprentissage d’un fils unique, « Rémi-sans-famille » qui cherche la vie qui lui manque, qui voudrait bien s’en inventer une autre, qui est tenté de mentir sur sa réalité, mais qui tente de forcer le destin, quoi qu’il en coûte, parce que la vie est à ce prix et qu’il faut bien se trouver, et trouver sa place. Au risque de se mettre dans de beaux draps…
Le final m’a laissée K.O.

La plume est pleine de verve et de bonnes trouvailles, les dialogues sont particulièrement vifs et bien sentis, Alexis le Rossignol restitue très bien le parler gitan et « lascar » de l’époque, tout cela sonne juste, drôle, authentique, sans affèterie. Plusieurs passages font vraiment rire.

Bref, un texte très réussi qui joue sur une large partition émotive et m’a touchée en plein cœur.

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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