Comme un bal de fantômes (2018) – Eric Poindron

Comme une éducation du regard

Ah, les heureux hasards des réseaux sociaux.
Sans eux, sans doute n’aurais-je jamais eu vent de ce recueil qui, sitôt refermé (mais pas pour longtemps car c’est un livre à perpétuellement relire), a pour moi immédiatement rejoint le Panthéon des plus beaux recueils jamais lus. (quelque part entre L’Homme rapaillé de Gaston Miron, Plume d’Henri Michaux et Domaine Public de Robert Desnos)

C’est d’abord son auteur qui m’a intriguée, un personnage singulier qui semble hésiter entre la mélancolie d’exister et l’allégresse de vivre. Souvent il se met en scène au beau milieu de son cabinet de curiosités qui fait la part belle aux vanités, aux bestioles bizarres, à Nerval ou à Poe, cabinet qui parfois se fait salon artistique où se rencontrent les créateurs inspirés (les écrivains étant bien représentés) : Eric Poindron semble venir d’un autre siècle et c’est très bien comme ça.

Mais revenons à ce bal de fantômes qui nous intéresse : sa couverture n’est-elle déjà pas per se une invitation à le parcourir au plus vite ? (Papillons gracieusement dessinés par Isla Louise)

Je ne voudrais pas déflorer le plaisir de cette lecture magique, dont pas un milligramme de page est à jeter, tant je sais que, s’il est une livre à faire sien, que l’on doit laisser intimement résonner en soi, c’est bien un recueil de poèmes. Je me contenterai juste de vous recopier ceux qui m’ont le plus touchée, dont les lignes se sont immédiatement gravées en moi de manière joliment indélébile.

Il est difficile de parler d’amour, du temps qui passe, des souvenirs, des amitiés littéraires, de la grâce de certains instants – et surtout, d’en parler comme personne, avec les mots de tout le monde, pour reprendre les mots de Colette. Eric Poindron y parvient avec une humilité et une élégance singulières qui forcent l’admiration et ne sauraient laisser aucun lecteur indifférent.

Un recueil plus que sublime : un recueil nécessaire

Un recueil qui rééduque le regard, rend plus lisible les émotions qui parfois nous assiègent, aide à mieux respirer, donne courage & inspire.
Merci, Monsieur Poindron, merci.

Croyez aux étoiles
Folles et légères
Chantonnez leurs murmures
Qu’elles vous soient bienveillantes

Collectionnez les astres aux allures de petits chemins
croyez en vos justes et impudiques étoiles

Et si vous croyez à une étoile
Qui n’existe pas
Cherchez-la
C’est la bonne

Pour finir, ce poème, sans doute un des plus émouvants poèmes d’amour lu depuis bien longtemps.. Cadeau !

UNE NUIT JE REVIENDRAI A REYKJAVIK
A force de le fréquenter ce souvenir de toi
J’ai eu de l’amitié pour lui.
Je le connaissais par coeur mais pourquoi oubliais-je
ces contours ?
De temps à d’autres temps, quelquefois, je faisais une petite
incursion dans l’espoir qu’un éclair de mémoire me permette
de retrouver ses parties effondrées et, du même coup,
de savoir dans quel puzzle je devrais replacer cette pièce.

C’était un souvenir versatile
comme le vieux kaléidoscope que je conserve
Avec cette lumière bleue dans les vitrines des rues
Et toi qui glissais presque à travers les vitres et les flocons
Je voyais la nuit et le jour qui étaient un presque pareil
Et d’autres passantes qui passaient sous ma fenêtre
Comme des fantômes de femmes d’autrefois
Comme j’ai aimé me promener dans la neige et dans la nuit
A tes recherches / J’étais aux anges – c’est une expression
Était-ce de l’illusion

La terre d’Islande devenait elle aussi translucide
Je pouvais deviner ce qu’il y avait en dessous
de la croûte terrestre
Sans peine j’y retrouvais
Des lacs des veines des entrailles
Et des brumes de toi

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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