Dorothy Day : ils ont besoin d’être dérangés (2023)

Des actes (et des paroles) d’évangile

Là où il y a une synthèse du culte, de la culture et de l’agriculture, là surgissent la beauté, la paix et la vérité.

Dorothy Day était une journaliste américaine, fervente militante du catholicisme social, qui a passé sa vie à s’engager en faveur et aux côtés des plus fragiles. Son combat (spirituel, social et politique) est pour elle la simple mise en pratique des évangiles et des actions de miséricorde. En tendant la main aux ouvriers miséreux, aux hommes et aux femmes laissés pour compte par la crise de 1929, à « tous ceux qui ne sont rien » comme disait l’autre, en ouvrant des « maisons d’hospitalité » et des fermes communes, elle poursuit l’action du Christ. C’est l’application stricto sensu des « Saintes écritures ».

Elle rappelle que les chrétiens ont utilisé cette « technique » des œuvres de miséricorde et que c’est ce qui a converti le monde. Parmi ces œuvres de sagesse :

– Les œuvres corporelles : nourrir ceux qui ont faim, donner à boire à ceux qui ont soif, habiller ceux qui sont nus, offrir le gîte aux sans abris, offrir une rançon pour les captifs, visiter les malades, enterrer les morts

– Les œuvres spirituelles : instruire l’ignorant, conseiller celui qui doute, réprimander les pécheurs, supporter les méchants patiemment, pardonner les offenses, consoler les affligés, prier pour les morts et les vivants.

L’ouvrage publié par les éditions Artège rassemble, grâce à Baudouin de Guillebon, des extraits marquants de son Journal, tenu entre 1933 et 1980, parallèlement à son travail de rédactrice pour le Catholic Worker, journal qu’elle a fondé avec son compagnon de route, Peter Maurin.

Il est assez passionnant de lire ses opinions sur les événements d’alors, à commencer par la seconde guerre mondiale (à laquelle elle s’oppose vertement, outrée par l’impérialisme de son pays), mais aussi les bombardements d’Hiroshima. Elle articule des réflexions très fines sur la course (folle) du monde au compte-rendu de sa vie quotidienne chiche et fervente auprès des déshérités. Il est beaucoup question de l’organisation, de la logistique et des difficultés financières des actions de charité qu’elle et les siens mettent en place. Distribution de (centaines !) repas de café chaque jour, proposition d’accueil de femmes et d’enfants dans des maisons et structures trouvées par le biais de nombreux aidants, séances de discussions politiques, mise en réseau des parties prenantes dans différentes villes…

On ne peut qu’être admiratif du travail que Dorothy Day et ses compagnons firent pour réparer les torts causés par le crach de 1929 qui mit tant de gens à la rue. Son humanisme, son humanité qui se traduisent dans des actes concrets d’hospitalité et d’amour sont une grande source d’inspiration pour le lecteur de 2023.

Tout en racontant ses journées et les problèmes qu’elle rencontre, elle évoque aussi ses lectures, ses maîtres à penser, ce qui la guide dans sa réflexion : Orwell, Bernanos, Tolstoï, Chesterton pour ne citer qu’eux.

Son idée, comme celle de ses comparses, est de « créer un type de société où il serait plus aisé pour les gens d’être bons » et qui permettrait aussi aux êtres de rassasier leur faim de beauté. Dorothy Day est favorable à un dépouillement global, à une vie dans le dénuement, qui se contenterait de nature, de lecture, de fermes collectives et de discussions nombreuses.

« L’enfer, c’est de ne plus aimer » disait Bernanos. Dorothy Day a fait de son existence un pur acte d’amour envers ses frères et sœurs humains, en cherchant toujours davantage à alléger leurs souffrances. Elle s’oppose pourtant à la vision communiste, qu’elle estime gravement dépourvu de sens spirituel. Pour elle, la véritable clef politique, c’est une sorte de communisme chrétien, un véritable catholicisme social.

« On doit pouvoir situer son travail dans la catégorie des œuvres de miséricorde. »

Elle revendique une « pauvreté choisie » qui rapproche selon elle « du Seigneur et de la Sainte Mère », une vie spartiate qui se contente de l’essentiel et bannit les plaisirs artificiels (alcool, tabac, cinéma, café…(!)). Une vie entièrement consacrée aux autres, en vertu d’une pure charité fraternelle.

Les armes spirituelles sont notre force et notre joie et nous devons avoir recours à elles constamment.

Même lors de son passage en prison (!) elle dira qu’elle vivait encore dans le luxe, ayant un matelas et un missel et aucune responsabilité pour la journée.

« Dans la mesure où vous l’avez fait au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous le faites. »

Le sous-titre du texte, « Ils ont besoin d’être dérangés », s’adresse à tous les catholiques du dimanche (dont je suis, honteusement) : il faut nous bousculer dans nos certitudes et nous montrer la réalité des souffrances pour que nous ayons à notre tour envie de grossir la cohorte des combattants de l’amour du Christ.

Une lecture qui m’a beaucoup émue, remuée, donné envie de donner de mon temps, tout simplement car :

Que ceux qui peuvent agir, agissent.

Elle termine par ces mots :

On ne peut pas aimer Dieu sans s’aimer les uns les autres, et pour s’aimer nous devons nous connaître. C’est en rompant le pain que nous le connaissons, et que nous ne sommes plus seuls. Le Ciel est un banquet, la vie aussi est un banquet, même avec un simple croûton, tant qu’il y a de la compagnie. Nous avons tous connu la longue solitude et nous avons compris que la seule solution c’est l’amour et que l’amour vient avec la communauté.
Tout cela est arrivé quand nous étions en train de parler, et aujourd’hui, tout cela continue.

Amen.

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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