La complainte de la quinqua
Je sors de ces 120 pages avec une mélancolie tenace, une tenace envie de pleurer. Pourtant, Delphine Apiou m’a aussi fait plusieurs fois éclater de rire (vraiment) avec son manifeste de quinqua célibataire et sans emploi qui pose les questions qui fâchent sur les rapports entre l’âge et « l’employabilité » (pour user d’un vilain mot) d’une part, et la « désirabilité » d’autre part- les deux semblant entrer en écho.
Delphine a roulé sa bosse durant les (encore alors) riches heures de la presse féminine, puisqu’elle œuvra notamment chez « Cosmopolitan » et « Biba » : sa plume drôle, ironique et affûtée m’a fait penser à deux Sophie (Hénaff et Fontanel) qui elles aussi firent la gloire et l’âge d’or des magazines du beau sexe. Mais ça, c’était avant la crise : du secteur de la presse papier, puis du Covid et son cortège de confinements et d’horizons bouchés.
Delphine Apiou livre (trop brièvement) avec beaucoup de courage, de sincérité et sans langue de bois le journal de bord de ses pensées au moment où elle se retrouve sans revenu (elle qui s’était toujours fait fort d’être indépendante financièrement, la « seule façon » d’être féministe pour elle (et Gisèle Halimi)). Elle n’a pas non plus de mari et encore moins d’enfants, et oscille entre la joie de la solitude et l’envie d’être en couple.
La 1ère partie de ce bref manifeste se penche sur le parcours professionnel de l’auteur, puis son départ négocié, puis Pôle emploi, puis les missions free-lance qu’on accepte en se bradant parce qu’il faut bien (sur)vivre et qui se font de plus en plus rares. Delphine brosse un portrait sans concessions de cette période qu’elle aborde à l’aube de ses 50 ans, sans jamais se départir de son rire (souvent jaune) masquant mal la mélancolie douce-amère qui sourd de chaque page et m’a heurtée de plein fouet (moi qui n’ai pourtant « que » 37 ans).
« Comme on dit souvent « c’est drôle » pour « c’est triste »
L’auteur ne mâche pas ses mots et en profite pour souligner et étriller l’absurdité du système actuel.
« C’est donc quand la femme ne peut plus procréer que l’entreprise n’en veut plus ? »
Mince ! On pensait que le problème concernait le risque de grossesse des jeunes femmes ? « Le débat sur la retraite à 65 ans », alors que bon nombre galère à bosser après 50 ? « On fait quoi de tous ceux qui ne sont pas « digital » employables? Et quid de celles qui n’ont aucun « réseau » à activer ? Est-ce un problème surtout féminin ? Et surtout : « On fait comment pour vivre quand on ne gagne pas une thune »? L’essayiste émaille sa diatribe de chiffres et statistiques officiels qui en disent long sur les disparités de traitement entre les deux sexes.
Conclusion de toute cette affaire :
« Un bon CV, c’est d’abord un CV de jeune »
car mesdames (et messieurs, dans une moindre mesure) tenez-le vous pour dit : « l’âge est un critère d’éviction ».
J’ai évidemment pensé au beau texte de Camille Laurens sur la femme de 50 ans, « Celle que vous croyez », surtout dans la dernière partie, consacrée aux rencontres « amoureuses ».
Où est le gaz ? (ou la corde)
Le mec bien de 50 ans, qui ferait passer la complicité, la conversation, l’esprit et l’humour avant le sexe doit exister mais Delphine confesse n’avoir pas croisé le spécimen.
« Ne plus être visible aux yeux des hommes, est-ce ne plus exister ? »
Entre deux boutades-#Payetavieille- et sous des dehors légers au langage familier, Delphine Apiou pose des questions essentielles et aborde des thèmes cruciaux qui ont trait au regard de l’autre (et de la société) sur nous, au désir, à la condition de la femelle occidentale, au statut socio-économique, à l’indépendance financière…
Et puis j’ai regardé hier soir les deux derniers épisodes de la série « Désordres » de Florence Foresti.
J’y ai vu des quinquas épatantes, torturées, bouillonnantes, épanouies, dragueuses, qui assument leurs envies, féminines, gouailleuses, solidaires, qui sifflent les mecs et ne s’en laissent pas conter :
Ça m’a remonté le moral
Et redonné espoir.
Car non, « être une femme périmée » (qui le dit ?) n’est pas une fatalité.
Luttons, camarades !