Fugitive parce que reine (2018) – Violaine Huisman

Rien ne s’oppose à l’ennui

J’avais été très émue par le roman autofictif de Delphine de Vigan autour de la bipolarité de sa mère et sa fin tragique, c’est donc avec une certaine confiance que j’abordais le texte de Violaine Huisman. Cette dernière s’était vue décerner en 2018 plusieurs prix pour son premier roman au très beau titre, « Fugitive parce que reine », un récit consacré à la vie de sa propre mère, maniaco-dépressive qui avait fini par mettre fin à ses jours.

Commençons déjà par ce qui fonctionne : le style est soigné (presque trop, flirtant dangereusement avec l’affèterie, goûtant un peu trop la tournure stylisée et le terme pointu qui sonne / fait bien) ; la scène de fin, la crémation de la mère, avec ses deux filles déchirées, ne peut évidemment qu’émouvoir toute personne titulaire d’un cœur en état de marche.

Non, le problème, c’est tout le reste.

Je ne saurais expliquer pourquoi tel texte intime va toucher à l’universel et résonner en chacun, et pourquoi tel autre, non. En l’occurrence dans ce récit, cela tient peut-être à la personnalité des protagonistes, à commencer par cette mère complètement ravagée mais exaspérante, ce père imbuvable de snobisme (comme tous les personnages) ou cette fille (la narratrice) qui se complaît dans le rappel permanent du cadre bourgeois et ses privilèges afférents. Toujours est-il que je ne me suis à aucun moment attachée à aucun d’entre eux et, dans une telle histoire, c’est assez ennuyeux.

C’est qu’il y a des folies qui sont belles, créatives, magiques, et d’autres qui appellent les gifles et rendent les individus exécrables. C’est pour moi le cas de Catherine, la mère de la narratrice (cette « héroïne » qui foutait le bordel partout et qu’elle a voulu immortaliser en écriture), une femme de modeste extraction mais soucieuse de revanche sociale, qui va essentiellement vivre aux crochets de ses maris tout en traversant régulièrement des crises psychiatriques à base d’alcool, de drogues et de médicaments. La pauvre Violaine et sa sœur vont vivre un enfer quotidien avec cette femme qui, au fond, déteste la vie et ne la respecte en aucun cas. Et c’est peut-être ce détail qui m’a le plus choquée. Je veux bien qu’elle ait des circonstances atténuantes (une mère froide, un père absent puis incestueux – à qui elle confiera tout de même le « soin » de l’avorter sauvagement à 5 mois de grossesse, dans une scène sordidissime dont j’aurais préféré me passer) mais cette absence d’empathie à l’égard du vivant m’a écœurée. Une femme capable d’égorger la chienne de sa fille, de détruire, sur une lubie, le pommier auquel elle tenait, de laisser mourir seule sa meilleure amie à l’hôpital avec son cancer en stade terminal, de traiter ses gosses de tous les noms en les enfumant fenêtres fermées dans une voiture..

Non, non, je ne vois pas comment on peut pardonner, ou même justifier, de tels comportements.

Le langage ordurier de Catherine parachève le tableau très glauque que nous livre sa fille, toute à son (compréhensible, filial) aveuglement inconditionnel. Alors certes, la mère est d’une beauté stupéfiante qui fait tourner toutes les têtes, et cela nous est suffisamment rappelé (les redites et doublons sont d’ailleurs fréquents dans ce texte) mais cela n’excuse pas tout ni ne cautionne cette fascination que nous impose sa fille et qui personnellement m’a laissée de côté.

Le caractère snob, socialement très « entre-soi » de ce récit, est également fort pénible. Violaine aura beau dire que sa mère s’est mise avec son père « par amour », on ne peut s’empêcher de lire une certaine vénalité dans ses choix de vie et quelque chose de l’ordre du parasite qui vient vampiriser les finances de ses partenaires et se les approprier. Sa manière d’agir comme si tout lui était dû est celle d’une enfant gâtée, immature (face au refus de son mari de lui acheter sa maison en Corrèze, elle va lui voler de l’argent pour l’acquérir) que j’ai trouvée insupportable, vraiment à claquer.

Mais il y a plus gênant encore que les considérations matérielles, que le rappel récurrent des beaux quartiers où la narratrice se rengorge d’avoir toujours habité, que les marques que sa mère portait (tout en prétendant s’en foutre ou rester proche du petit peuple, comble du snobisme !), que l’argent qui coulait à flot, c’est la crudité et l’inutile impudeur de certains détails. Violaine Huisman a-t-elle vraiment besoin de nous parler du clitoris de sa mère ou de décrire par le menu comment celle-ci se faisait doigter par son amante ? Je ne crois pas. Ça n’intéresse personne, ça ne sert en rien le récit et c’est indécent, même pour feue sa mère. Là, l’éditeur aurait peut-être dû intervenir car tout cela est malsain, glauque, dérangeant.

La narratrice nous raconte donc chronologiquement la vie de sa mère, sans doute en a-t-elle eu besoin pour faire son deuil mais quant au grand public, rien n’est moins sûr. D’autant que sa vie de femme complètement paumée, complexée intellectuellement et socialement, accusant systématiquement les autres d’être responsables de son malheur alors qu’elle a toujours vécu à leurs croûtes, n’a pas un immense intérêt et m’a beaucoup ennuyée. Je ne vois pas ce qu’il y a de fantasque ou admirable à rouler comme une dingue sur les trottoirs, à fumer comme un pompier, à traiter ses filles de « salopes » à tout bout de champ (mais attention ! avec amour !). Ça n’est en rien une « ode à la liberté », comme l’indique la 4ème de couverture, mais plutôt au chaos et à la destruction, ainsi que tout le texte le démontre. À lire tout ça, on se dit (surtout en tant que mère) : pauvres gosses. On a certes beaucoup de fric mais ça n’achète pas tout, la preuve.

Mais le plus insoutenable des personnages est peut-être l’universitaire de père, le fils de ministre qui a grandi sous les ors de la République, qui dilapide son pognon en marques de luxe et trompe sa femme à tour de bras, tout en crachant sur les prolos de Français (p. 227). Alors on tente de nous faire pleurer sur sa judéité (thème récurrent), sur les drames (bien malheureux, il est vrai) de sa vie, mais son snobisme et sa manière de mépriser les classes populaires m’ont parus tout simplement odieux. Bien le reflet de la mentalité des « puissants » de ce pays, qui n’ont rien de patriotes – d’ailleurs sa fille finira par s’installer à New York et sa mère à Dakar… Ah, ces « citoyens du monde » progressistes, quel bonheur.

Même dans les séquences où la narratrice cherche à nous peindre l’amour inconditionnel que lui vouaient ses parents (quand le père était là et que la mère n’était pas en crise) il y a du gênant, comme quand elle dit que les parents « embrassent leur zizi, leur petit abricot », on a beau dire que c’est innocent, ça reste dégueulasse..
Désolée mais non.

Violaine Huisman a sans doute voulu écrire un livre « chic & punk » et faire passer sa mère pour une sorte de fascinante comète, c’est raté (en tous cas pour moi). Elle a peint une pauvre femme égarée, plutôt égoïste, puérile, vénale et vulgaire, qui m’a véritablement repoussée.

J’ai eu de la peine pour ses filles, voilà tout.

Que ce genre de texte certes bien écrit mais complaisant dans le sordide, socialement étriqué et prétentieux soit couvert de lauriers est décidément un signe des temps.

En bref : fugitive peut-être, mais reine de rien du tout.

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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