Jours de crime (2018) – Pascale Robert-Diard & Stéphane Durand-Souffland

Faites entrer l’accusé

Pendant quelques jours, parfois plusieurs semaines, rien d’autre ne compte. L’univers tout entier se condense entre les quatre murs d’une cour d’assises. Dedans, on se saoule de mots et de visages. Des hommes, des femmes dont nous ignorions tout nous deviennent familiers. On apprend où ils sont nés, comment ils ont grandi, qui ils ont aimé, comment ils ont été aimés ou mal aimés. On voit leur mère, leur père, leurs frères et sœurs, leurs voisins, leurs employeurs, leur instituteur, leur meilleur ami, leur pire ennemi. Rien d’eux ne nous est épargné, surtout ce qu’ils voudraient cacher. Leurs passions, leurs mystères, leurs mensonges, leurs aveux, leurs silences, leurs épreuves, leurs corps, ses blessures et ses plaisirs sont disséqués devant nous. On aspire jusqu’à la plus fine particule de leur intimité. Nous, chroniqueurs judiciaires, sommes des ripailleurs d’humanité.

J’aurais tant aimé être chroniqueuse judiciaire, plonger des jours entiers dans le grand chaudron de l’humanité bouillonnante, scruter les serial-killers, m’abreuver d’expertises psychiatriques.. Ce n’est pas du voyeurisme, juste une fascination légitime pour ce que l’humanité peut produire de plus violent, de plus extrême. Tenter de comprendre l’inimaginable, le camaïeu des cruautés de l’âme humaine.

Le livre écrit à quatre mains par les chroniqueurs judiciaires les plus célèbres de France – l’une au Monde, l’autre au Figaro – est une réussite puisqu’il balaie, en de courts chapitres excédant rarement cinq pages, les affaires les plus marquantes de ces 50 dernières années qui ont fini aux assises. On pourra parfois être frustré que tel ou tel procès ne soit pas davantage développé – j’en connaissais déjà bon nombre, merci Faites entrer l’accusé – mais le parti pris des auteurs est celui de la mise en lumière précisément anglée sur un point de chaque affaire. Affaires qui ont souvent défrayé la chronique telles que Fourniret, Guy Georges, Bissonnet, Brunerie, Colonna, Flactif…

L’éloquence ne consiste pas à dire ce que l’on croit, mais à croire ce que l’on dit. (Jacques Charpentier, page 105)

Il peut s’agir du bon mot d’un avocat (plusieurs portraits de ténors du barreau et célèbres pénalistes – Kiejman, Szpiner, Leclerc, Lévy, entre autres – dont les journalistes ne manquent pas de dire l’orgueil mais aussi les qualités variées – et qui manquent cruellement de femmes), d’un témoin devenu gênant pour la défense, d’un assassin plus que monstrueux, des pleurs d’un homme abasourdi par le coup de sang de son ami, de la logorrhée inextinguible et sibylline d’un tueur d’enfant investi d’une mission..

Ici se dévoile l’humain dans toute sa folie, ses errances, son affreuse et souvent déchirante nudité. J’ai aimé le caractère souvent pédagogique de cet ouvrage qui nous fait entrer dans les coulisses des audiences, nous explique la révocation des jurés, les arabesques historiques des plafonds ou le protocole de la cour. Tout est absolument passionnant. La construction et le rythme narratifs choisis par les auteurs en font d’excellents petits contes à suspense. Enfin, leur plume fait souvent mouche en quelques formules lapidaires et percutantes :

Aux assises, qui dit sang chuchote crime. Le sang de l’avocat a lavé le sang du dossier Chez les Bettencourt, l’amitié est un crime et un délit. Le temps, cette machine à réviser la vie, à distancer le regard et à panser les plaies, était passé par là. Aucun avocat ne sachant poser des questions courtes, et tous les avocats étant rancuniers … Un avocat ne pose en principe que des questions dont il connaît par avance la réponse L’annuaire de l’aristocratie du crime (le fichier du grand banditisme)

Il y a ceux qui méritent le mitard, mais il y a aussi du grand art dans les prétoires.

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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