La Daronne (2017) – Hannelore Cayre

Escroqueuse mais pas trop

Le titre de ce polar annonce déjà très bien la coolitude désinvolte qui file ces 177 pages signées Hannelore Cayre, une avocate pénaliste du même âge que son héroïne (54 ans). Cette dernière répond à une identité pour le moins nothombienne : Prudence Portefeux.

Veuve désabusée, traductrice judiciaire blasée, cette anti-héroïne à l’existence morne doit également veiller sur sa mère grabataire en EHPAD et tenter d’assurer les arrières financiers de ses deux filles en âge de s’installer. Un profil assez peu romanesque, si l’on met de côté sa filiation : Prudence (ô prénom trompeur !) est issue d’une famille d’escrocs notoires et l’on va bien vite comprendre qu’une part d’atavisme – ou une certaine idée de la loyauté familiale – va bientôt la rattraper.

J’ai aimé énormément de choses dans ce livre très original, à commencer par la langue et le ton de l’auteur : caustique, acerbe, drôle, irrévérencieux, politiquement incorrect. La daronne est un livre que je taxerais de moralement déculpabilisant car il nous offre le tableau rafraîchissant d’une femme qui décide de franchir la ligne sans la moindre once de repentir.

Dans une époque telle que la nôtre où tout un chacun est prompt à (se) flageller pour le moindre écart de conduite, à vouer aux gémonies la moindre pensée hors du cadre, l’inconscience débridée et assumée de Prudence fait du bien et fait souffler un vent de liberté salutaire sur le lecteur. Hannelore Cayre campe également un personnage richement caractérisé, qui revendique une forte personnalité qui va parfois de pair avec une forme d’intolérance ou de mauvais caractère que j’ai trouvés pour le moins surprenants et fort plaisants.

Pour asseoir son récit de Daronne, l’auteur semble s’être dûment renseignée sur le très opaque monde des gros trafics en Go Fast autant que celui des délinquants à la petite semaine. J’ai aimé la retranscription des écoutes qui rendent bien compte du ton wesh wesh des petites racailles écervelées. Prudence ne cache pas d’ailleurs son dédain pour ces imbéciles ravagés du ciboulot, ce qu’elle exprime avec un humour qui m’a beaucoup amusée.

L’humour est sans doute ce que je retiens de ce roman mené tambour battant, qui nous brosse également le tableau d’une famille complètement déjantée – celle de l’héroïne – qui a fait du grand banditisme une affaire de haute voltige. Et le lecteur de se dire en lisant : et si moi aussi, j’avais eu à faire le choix de Prudence, aurais-je respecté la loi, obéi à l’ordre moral ou tenté l’interdit ?

La daronne est un polar plus ambitieux et subversif qu’il n’y paraît et qui pousse à de vastes réflexions qui courent du quotidien douloureux des mouroirs-maisons de retraite à la légalisation du cannabis, à la fin de l’hypocrisie qui jette derrière les barreaux des dealers fournissant les enfants des avocats et des juges qui traitent leur cas.

L’auteur interroge enfin – et surtout – la part d’héritage familial et moral que chacun reçoit, et met en balance la question de la culpabilité, de la responsabilité et des conséquences des actes. Non seulement très drôle mais très brillant.

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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