La vie amoureuse des fleurs dont on fait les parfums (2009) – Jean-Pierre Otte

Florales bacchanales

Vous n’avez pas idée de la beauté de ce livre. Vraiment. Son titre nous donne déjà une petite idée de sa splendeur. Mais croyez-moi, ce n’est rien comparé au contenu, à ces 15 chapitres, chacun consacré à une fleur particulière et qui ouvre à de nombreuses digressions.

Ainsi de La double vie de Violette, La passion des résédas, Le chèvrefeuille et les visiteurs du soir.. L’auteur clôt avec ce livre son cycle de 9 livres de L’amour au naturel, qui l’a conduit à observer avec un regard à la fois poétique et entomologique les mœurs de la faune et de la flore qui nous entoure. Jean-Pierre Otte est ce magicien qui fera qu’une fois son livre refermé vous ne verrez plus jamais un massif de fleurs de la même manière : vous saurez qu’en fait il ne s’agit là que d’un vaste lupanar, plein d’odeurs et de couleurs, au sein duquel les fleurs déploient des stratagèmes dignes de la marquise de Merteuil pour s’attirer les amants les plus émérites..

Avec une incroyable précision, le poète pénètre au cœur des corolles et des sucs pour nous donner à comprendre les séductions et les parades qui s’opèrent chez les fleurs. La tentation de l’anthropomorphose est grande mais Jean-Pierre ne s’y risque guère : s’il met en parallèle les stratégies opérées par les fleurs et les femmes, c’est pour en faire ressortir la beauté, pour éclairer nos manières de procéder dès lors qu’il s’agit de se faire désirer.. Foin de sentiments là-dedans, nous sommes bien dans l’organique, le sensuel, le sensoriel purs. C’est bien simple, j’ai eu envie de souligner et de recopier quasiment chaque phrase de cet ouvrage magnifique qui m’a donné envie de me jeter sur le reste de la collection – tels que Amours en vol ou Sexualité d’un plateau de fruits de mer. Jean-Pierre Otte parle en ces termes de sa démarche, de sa passion pour les rites amoureux du monde animal.

Dès le départ je pensais sans beaucoup me tromper que ces rituels-là éclaireraient les nôtres, qu’il y avait comme une réconciliation à opérer par la connaissance et la reconnaissance des espèces. (…) On dit qu’il n’y a plus rien à découvrir (…) pourtant le paysage proche que j’aperçois de ma fenêtre où tant de mondes se croisent, où tant de territoires d’oiseaux, d’insectes, de fibres végétales et de rongeurs se mêlent en restant pourtant chacun distinct, demeure à mes yeux, à tous mes sens, un spectacle intact et pour une très large part encore, une terre inconnue.

L’auteur nous invite, ni plus ni moins, à rééduquer notre regard afin de nous réémerveiller de la fabuleuse diversité du vivant qui nous entoure et que nous avons tendance à ne plus voir, oublieux de leur magie intrinsèque. Jean-Pierre Otte nous offre aussi avec cet ouvrage une superbe déclaration d’amour à la langue française, puisqu’il a le goût du terme scientifique précis qui feront les joies des littéraires puristes. Le poète – appelons un chat un chat – nous propose des parallèles absolument fascinants entre fleurs & femmes.. Jugez plutôt :

(…) Les fleurs qui ne sont pas fécondées continuent tout un temps d’exhaler leur parfum capiteux jusqu’à ce qu’elles se fanent, et meurent sans bruit en conservant une inutile virginité. Par contre, celles qui ont été fécondées perdent rapidement leur odeur, ne diffusent plus aucun effluve ; elles estiment sans doute toute séduction désormais superflue, et cela peut-être à tort, car en jouant les prolongations amoureuses, ne connaîtraient-elles pas d’autres liaisons, ne récolteraient-elles pas d’autres sensations plus subtiles et exaltantes ?

Il faut lire ce livre, vraiment. Je vous y enjoins de toute mon âme car il est cet hymne indispensable à la jouissance sensuelle, une ode aux plaisirs minuscules, ces cadeaux de nos sens. Une invitation en somme, à renouer avec notre nature profonde :

L’âme des fleurs serait-elle alors sa fragrance ? Le parfum serait-il le plaisir d’exhaler son âme, d’embaumer l’air alentour, d’encenser ce qui nous entoure ? C’est une bouffée de bonheur à respirer, exprimée à la ronde, et qui fait de nous des êtres aériens quand des quatre éléments l’air est celui qui nous est le plus indispensable.

Je pourrais citer mille passages qui m’ont chavirée d’extase tant ce qui est dit est à la fois beau et vrai – mais je préfère vous laisser la joie singulière de les explorer par vous-mêmes…

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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