Madeleine project (2016) – Clara Beaudoux

Une vie française

Clara Beaudoux est journaliste à France inter. Alors qu’elle emménage dans un nouvel appartement, elle découvre dans sa cave tout ce qu’a laissé derrière elle l’ancienne propriétaire, désormais décédée. C’est le début du #Madeleineproject, du prénom de la mamie à qui appartenaient les centaines d’objets, lettres, bibelots, souvenirs divers rangés dans cartons et valises bien ordonnés.

La journaliste se lance alors dans une enquête d’un genre nouveau : grâce au hashtag #Madeleineproject, elle présente à la toile le fruit de ses découvertes. Des milliers d’internautes se sont passionnés pour son entreprise, qui permit à l’intime de rejoindre l’universel. En croisant les informations trouvées sur d’anciens diplômes, de vieilles lettres, des photos, en fouillant dans tous les petits trésors que Madeleine avait conservés, Clara redonne vie à cette femme qui a traversé le XXème siècle et qui aurait eu 100 ans en 2015.

On est touchés, même sans la connaître, en voyant ses livres, les carnets où elle notait ses recettes de cuisine, les missives émues qu’elle échangea avec un homme pendant la guerre, ses journaux de bord où elle inscrit son programme de vacances. La persévérance et à la passion de l’investigation de Clara Beaudoux lui permettent de retrouver la trace de ceux qui l’ont connue, et qui complètent peu à peu le puzzle de l’existence de cette Madeleine qu’on découvre institutrice, très aimée, curieuse, à l’écoute de tous.

La journaliste la ressuscite, via les photos qu’elle poste sur Twitter et ses comptes-rendus à 140 caractères en temps réel, et réussit le tour de force de passionner la toile avec une totale inconnue. J’ai trouvé la démarche non seulement émouvante, mais aussi très moderne dans son approche : les réseaux sociaux deviennent la chambre d’écho de ses recherches, les internautes lui envoient des photos d’endroits mentionnés par Madeleine, l’aiguillent sur la fonction d’étonnants bibelots..

Tout le monde se prend au jeu, créant un cercle empathique et documentaire d’une puissance sans pareille. Le livre, entièrement composé des captures d’écran Twitter, se dévore d’une traite, avec la même avidité que celle qui anima la journaliste quand elle entreprit d’ouvrir les cartons et les valises de Madeleine. Le lecteur, curieux, a envie d’en savoir plus, s’émeut, s’intéresse à cette vie anonyme qui lui rappelle forcément un parent, un ami..

Bien plus qu’une simple enquête anecdotique, le travail de Clara Beaudoux nous renvoie à des questionnements existentiels : que laisserons-nous derrière nous ? Y aura-t-il quelqu’un pour se rappeler de la personne que nous étions ? Sommes-nous suffisamment présents pour les aînés qui nous entourent et qui souffrent souvent d’isolement, comme c’était le cas de Madeleine ?

Alors c’est un grand bravo et un énorme coup de cœur.

Merci aux éditions du sous-sol (ça ne s’invente pas !) pour avoir permis de passer cette enquête au plus grand nombre. Nous vivants, nous qui nous pensons éternels, combien de temps durera notre souvenir, une fois notre flamme éteinte ? Clara Beaudoux offre au souvenir de Madeleine, à la vie qu’elle mena, à la femme qu’elle fut, un bien beau linceul, désormais traversé de milliers de regards.  

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

Rester en contact

Restez informé·e !
Chaque semaine, retrouvez mes coups de cœur du moment, trouvailles, rencontres et hasards littéraires qui offrent un supplément d'âme au quotidien !