Paname Underground (2017) – Johann Zarca

Gangsta Paradise

Le premier uppercut littéraire de l’année 2019 est signé Johann Zarca pour Paname Underground qui lui a valu le Prix de Flore 2017. Alors, autant prévenir d’entrée : pas vraiment le genre de bouquin qu’on offre à sa mère pour son anniversaire. Déjà, parce qu’elle n’y comprendrait pas grand chose (Zarca emploie une langue parfois difficile à saisir pour les néophytes- exemple : « Je récupère le spliff, le ponce jusqu’au toncar »), ensuite parce que la radicalité des situations décrites pourrait entraîner un AVC dès les premières pages. Restons donc prudents ! Passée cette mise en garde liminaire, force est de reconnaître que ce roman (dont le personnage principal porte le nom de l’auteur) est jouissif et novateur à plus d’un titre, tant sur le fond que sur la forme, pour la qualité de son scénario et de sa mise en scène mais aussi pour la créativité de la langue employée.

Sous prétexte de la rédaction d’un guide de l’underground parisien, Zarca nous entraîne dans les bas-fonds et autres cours des miracles de la capitale française, à la rencontre d’extrémistes – de la drogue, du cul et de la violence. Non sans humour, ni sans une empathie quasi permanente qui apportent à ce récit une lueur d’humanité inattendue. Zarca est un jeune parisien vraisemblablement paumé, qui traîne dans des milieux interlopes (euphémisme) entre deux rails de coke et trois spliffs de skunk. Sa consommation de drogues précède-t-elle son acoquinement à cet univers à la fois fascinant et repoussant – comme on est attiré et effrayé par le vide – le lecteur ne le saura pas. Toujours est-il que, pour approcher ces mondes clandestins, violemment amoraux, Zarca, tel un caméléon, semble copier leurs pratiques. Pour les mettre en confiance et pouvoir ainsi les raconter avec plus de réalisme, de l’intérieur ?

Il n’y a pas à chier, la Porte de la Chapelle abrite la faune la plus underground de Paname. Et le max du max, le spot le plus trashcore de ce coin trashcore, j’ai nommé La Colline. Une favela de camés, un terre-terre de junkies où j’ai toujours refusé de traîner les pieds, sur les conseils de mecs pourtant bien burnés. « Toi mon gars, à la Colline, tu tiendrais pas trente secondes avant de te faire pouilleder ou suriner. »

Caïds à la petite semaine, dealeurs afghans, cogneurs néonazis, barebackers revendiqués, héroïnomanes et prostituées : telle est une portion de la réalité sociologique qui va s’offrir aux yeux ahuris du lecteur, généralement peu accoutumé à ces populations (du moins pour ma part). Tel un journaliste de terrain – un poil juge et partie quand même – Zarca se lance dans une démarche documentaire qui va nous faire passer, crescendo, des sex shops de Pigalle à la Colline de la Pelcha, sorte de bidonville sordide où l’espérance de vie ne dépasse pas quelques minutes. Le roman relate la descente aux enfers du narrateur guidée par une soif de vengeance suite à la mort suspecte de Dina, l’amour de Zarca, à la fois sista et comparse de baise sauvage et de sniffs inconséquents. L’auteur se lance dans une spirale d’ultra violence et de défonce qui finira… je ne vous dirai pas comment.

Mené tambour battant à un rythme effréné ébouriffant, le récit se partage en 13 chapitres qui sont autant de balises géographiques de la capitale et de ses spécialités marginales extrêmes – Saint Denis street, Porte d’Aubervilliers et ses free fights, Paris Nord et ses groupes de camés, Stalincrack etc. Avec une impressionnante maîtrise de la construction narrative et une tension maximale, Zarca nous plonge avec lui dans ces zones à hauts risques sans ambages. J’ai plusieurs fois pensé à l’électricité échevelée d’un Mad Max Fury Road mais aussi à la créativité langagière d’un Mahir Guven – le côté trash en plus. Car c’est bien le style de Zarca qui m’a le plus scotchée, encore plus que le suspense de ce western urbain décoiffant. Paname Underground est un de ces livres qui s’entendent à la lecture, qui s’appuient quasiment exclusivement sur la langue orale, en en restituant le phrasé si typique du parler des banlieues. Zarca nous offre un pot-pourri langagier extraordinaire, qui mélange l’argot français, le verlan et l’arabe avec une virtuosité époustouflante. Combien de vocables l’auteur possède-t-il pour dire cigarette, tête, joint ou policier ? Parfois, sur quelques lignes, on trouve 5 ou 6 synonymes différents. Cette palette lexicale m’a beaucoup impressionnée.

Comme dans Grand Frère de Mahir Guven, Zarca rend ses lettres de noblesse au parler racaille des scarla grâce à des dialogues irrésistibles, moult interjections et autres insultes familières qui donnent à cette histoire toute son épaisseur sociologique et sa réalité ethnologique. Fin connaisseur de l’underground, Zarca n’en reste pas moins un simple observateur et assister à ses déboires est la fois touchant et drôle, surtout à lire les réactions de l’intéressé. Zarca sait se rendre attachant, on ne sait pas trop si on doit le plaindre ou lui botter les fesses – mais avant tout, il convient de saluer son talent et son courage (l’image qu’il offre de lui n’est pas très glorieuse). J’ai également beaucoup goûté la virtuosité de portraitiste de Zarca qui parvient, en quelques lignes colorées, à faire jaillir un personnage dans la seconde :

Je reconnais d’ailleurs un présentateur télé dont je tairai le nom, accompagné d’un tismé à la ganache juvénile et aux cheveux blond platine, robe courte, moulante et décolletée, escarpins brillants aux pattes, piercing à la lèvre inférieure et tchoutchs sans doute trafiqués.

Sans doute un glossaire eut-il été à propos afin de saisir la définition exacte de chaque mot – certains me demeurent à l’heure actuelle encore inconnus : chlombard, archouma, hagar (en revanche, Zarca partage avec Mahir Guven le même goût pour le terme cojones) Paname Underground, pour toute ces raisons, est une sorte d’odyssée tragi-comique, un feu d’artifice langagier jubilatoire pour qui aime le phrasé dialectal des cités, les guns glissés dans la ceinture, les pétards planants, l’honneur qui n’est pas un vain mot, les amis sur qui compter, les situations à priori inextricables racontées à 1000 à l’heure.

Même si ce récit ne plaira à tout le monde (loin s’en faut), Paname Underground est un plaisir de gourmet en ces temps de politiquement correct, d’hypocrite pudibonderie, d’hygiénisme dictatorial et de bien-pensance forcenée. La bande de Beigbeder ne s’y est pas trompée en récompensant ce livre aussi hallucinogène qu’hallucinant.

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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