Point cardinal (2017) – Léonor de Recondo

« Laurent avait toujours su qu’il était blonde »

Le parallèle avec le film Laurence anyways de Dolan est assez net en effet, mais par trop réducteur.

Ce serait – scandale ! – oublier la grâce littéraire de Léonor de Récondo qui, depuis le divin Amours n’a cessé de surprendre son lectorat par des sujets où se joue l’ambivalence de la quête identitaire. Il y a aussi le plaisir sensoriel que procurent le livre des éditions Sabine Wespieser : un objet un peu plus grand qu’un poche aux pages crème d’une douceur sans pareille, à la police élégante.

Pas étonnant que cette ancienne violoniste baroque ait choisi cette maison au chic si feutré pour y publier ses romans. L’histoire est à la fois simple et complexe : un père de famille se sent femme. Ça a toujours été le cas mais il était parvenu jusque-là à tenir son identité à bouts de bras. Mais depuis quelque temps, le vernis craque de toutes parts.

Depuis le ZanziBar où il officie sous les traits de Mathilda, Laurent, soutenu par une comparse, ne se sent plus seule. L’intrigue se fonde sur une question : va-t-il finalement rentrer dans le rang ou, au contraire, assumer pleinement ce qu’elle est ? Périlleux sujet qui ne m’attirait guère à priori et puis, après avoir tant aimé Amours, je me laisse tenter.

Et me voilà à pleurer en plein RER, contrainte d’arrêter ma lecture pour éponger mes joues ruisselantes.

[A ses deux enfants] Il y a une chose que je voudrais que vous sachiez, une chose dont je n’ai jamais douté. Si je ne me suis jamais senti homme, je me suis toujours senti père.

Certaines situations sont si déchirantes qu’il est impossible de ne pas se laisser gagner par l’émotion. Et puis, il y a ce jeu permanent sur les pronoms, les genres et les accords qui disent bien l’ambiguïté permanente du personnage que j’ai trouvé très réussi. Sans jamais verser dans les écueils du pathos ou de la commisération, l’auteur parvient à nous faire nous interroger sur nos propres choix et sur le courage ou la lâcheté qui sont les nôtres quand il s’agit d’affirmer ce que l’on est au plus profond :

Combien de temps faut-il pour être soi-même ? Et je voudrais demander cela à tous ceux qui n’ont pas à changer de sexe. Combien d’années, de décennies, pour être en adéquation ? Adéquation de corps, adéquation de rêves, adéquation de pensées, avec ce que nous sommes profondément, cette matière brute dont il reste quelques traces avant qu’elle ne soit façonnée, lissée, rapiécée par la société, les autres et leurs regards, nos illusions et nos blessures.

L’écrivain, sans jamais se départir de son empathie, nous raconte la variété des réactions de l’entourage – de sa femme, bouleversante, en premier lieu – des collègues, des voisins, et nous montre ce que coûte la différence, la non-adéquation aux normes habituelles. J’ai trouvé ce récit à la fois extrêmement touchant et d’une grande pudeur, sensuel, doux et tragique. M’est avis qu’il pourrait contribuer à faire avancer la tolérance et la compassion, souvent mises à mal dans ce genre de débat.

Un très beau livre de la grande Léonor ! [Prix du roman des étudiants – France Culture / Télérama]

Qui suis-je ? Voilà une question difficile à répondre.



Je suis une femme, une mère, une Française, une fille, une amoureuse, une attachée de presse freelance et aussi (et peut-être surtout) : je suis une lectrice. Les livres ont fait bien plus que m’accompagner, me tenir compagnie, bien plus que me sauver du désespoir. Ils m’ont façonnée, ils ont sculpté ma sensibilité, mon âme, ma culture. Ils m’ont faite telle que je suis, je suis le résultat vivant de mes lectures. Ils m’ont tout appris de la vie, de l’amour, des cahots du destin, du courage qu’il faut pour exister. Je pourrais vivre sans écrire, mais je ne pourrais pas vivre sans lire, j’appellerais ça vivre à moitié.

A l’époque difficile, tendance totalitaire, qui est la nôtre, les pages sont plus que jamais indispensables. En 1920 déjà, l’écrivain André Suarès prophétisait que le livre serait « le dernier refuge de l’homme libre » : une affirmation plus que jamais d’actualité.

Et que je compte bien défendre.

Anaïs Lefaucheux
Critique & conseillère littéraire

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